Götterdämmerung
Il y a toujours quelque chose de fascinant dans les engloutissements, dans les naufrages qui révèlent non pas les caractères exacts (on n’est que rarement confronté à ces moments extrêmes !) mais bien une de leurs facettes les plus dissimulées : courage ou lâcheté, aveuglement ou lucidité, détermination ou sens aigu de l‘à quoi bon ?…
On imagine assez que c’est un peu ce qui se passe, aussi bien à Constantinople en 1453 qu’à Fontainebleau en 1814 (ou, si l’on veut sur le Titanic qui coule) : une juxtaposition d’attitudes erratiques, ni forcément cohérentes, ni fatalement absurdes : certains demeurent fidèles jusqu’au bout à ce qu’ils furent toujours, d’autres se révèlent, dans l’héroïsme ou l’abjection…
J’ai trouvé que La chute était un film absolument formidable en ceci qu’au milieu des images terrifiantes d’un Berlin en flammes qui brûle comme frappé d’une malédiction divine justifiée, d’un peuple qui voit littéralement l’orage d’acier se déclencher et les hordes vengeresses l’encercler, tout l’entourage du Führer est présenté sans complaisance, mais naturellement, non plus, sans le lourd regard moral rétrospectif qui aurait abouti à diaboliser – donc à déshumaniser – les protagonistes. Tout l’art du réalisateur a consisté non pas à rendre les personnages sympathiques (le sont ceux qui le sont !) mais à les rendre profondément humains, jusque, pour certains à leur folie criminelle : Hitler (étonnante composition de Bruno Ganz) est tour à tour prostré et hystérique, Eva Braun, gentille, idiote et fidèle, Goebbels glacial, sa femme Magda fanatique et désespérée, les généraux butés.
La force du film est de ne rappeler que dans les cartons du générique final ce que fut le national-socialisme et les monstruosités répandues par lui à la surface de la Terre ; car ce que nous savons de cette abominable période historique ne disparait évidemment pas du récit des derniers jours de la vie du Bunker : notre connaissance est toujours là, sous-jacente, et l’évocation même de ces noms, Hitler, Goebbels, Goering, Himmler ne nous permettrait pas de ressentir la moindre empathie pour ces criminels traqués.
Mais – et c’est là que le film est fort – nous est montrée l’Humanité fondamentale de tout ce groupe : il est toujours très facile, en qualifiant quelqu’un de monstre de l’exclure ainsi de notre famille humaine et de le tenir au loin, avec des pincettes, comme s’il était un extra-terrestre ! Que nenni ! C’est bien l’Homme qui produit l’horreur, et la même Magda Goebbels, modèle d’amour maternel, est cette même fanatique qui proclame, non sans grandeur Notre merveilleuse idée est réduite à néant. Avec elle disparaît tout ce que j’ai connu de beau, d’admirable, de noble et de bon dans ma vie !. On peut aimer les animaux et détester les Juifs, on peut être un excellent père de famille et envoyer brûler les Tziganes, on peut être gai, spirituel et généreux avec ses voisins et semer la mort dans l’Europe entière…
Dans Berlin qui brûle, défendu par les gamins de la Hitlerjugend, les débris de la Wehrmacht et quelques centaines de volontaires étrangers (Français, Lettons, Norvégiens), l’Apocalypse se poursuit. Dans une telle guerre, il n’y a pas de civils a déclaré Hitler ; il y a toujours, en tout cas, cette forme sidérante de fidélité du peuple allemand, qui a tant frappé le Général de Gaulle qui, à quatre ou cinq reprises dans ses Mémoires de guerre insiste sur ce que, jusqu’au bout, le Führer et ses complices ont gardé l’adhésion de la population…
La chute est un film terrifiant et admirable ; chaque image est tendue et brutale. On sent la mort roder. La mort et la honte. Ainsi que dit Traudl Junge, secrétaire choisie par Hitler : C’est comme un rêve dont on voudrait se réveiller, mais on n’y arrive pas.