La comtesse

Sado et Maso sont dans un bateau.

Les prurits du féminisme agressif faisaient déjà florès il y a plus de dix ans. Dès alors la mode obstinée voulait mettre en valeur le sort malheureux des femmes vouées moins par l’agressivité ordinaire des hommes que par le regard structurellement méprisant de la Société aux pires gémonies. Car si Erszébeth Bathory se repaît du sang des vierges, c’est moins parce qu’elle croit qu’ainsi elle pourra demeurer jeune que parce qu’elle répondra ainsi au désir – forcément déplaisant, forcément scandaleux – des hommes. Des hommes qui – ô scandale affreux et pitoyable – ont davantage de désir pour la chair fraîche que pour la peau plissée.

Dans le plaidoyer scandalisé tourné par Julie Delpy, où elle se met elle-même en scène, il y a beaucoup de la vertueuse indignation qu’on voit désormais fleurir partout : les femmes, si criminelles qu’elles peuvent être, ne sont jamais que les pauvres victimes du Désir masculin qui a besoin, revendique, exige, des corps parfaits et lisses. C’est donc la faute des mecs et de leurs sales pulsions que l’on est bien obligé de trouver des recettes impeccables pour conserver le teint de pêche et de lys que ces saletés d’hommes placent devant tous les critères possibles.

En d’autres termes on ne tue pas, ne saigne pas des jouvencelles pour son propre plaisir mais seulement à la suite d’une sorte d’astreinte rigoureuse, presque d’un ascétisme considéré comme un des Beaux-Arts. D’ailleurs le monde est si dur, si difficile à vivre que, puisqu’on a la chance de faire partie de la coterie qui est du bon côté de la barrière, on ne va pas avoir le moindre scrupule à en profiter.

Donc le sang des vierges, qu’Erszébeth va faire couler plus que de raison dans les terres incertaines de cette Europe des grandes plaines qui ne connaît ni frontières naturelles, ni frontières humaines ; où d’immenses territoires sont aux mains de grands seigneurs qui ne connaissent pas d’autre loi que leur plaisir. Ah sans doute un siècle et demi auparavant dans les terres civilisées de France, Gilles de Rais a pu, un peu de la même manière, assouvir son goût du sang frais sans encourir durant longtemps le poids de la Justice. Où que l’on soit, l’horreur n’est jamais bien loin.

Le personnage d’Erszébeth, absolument fascinant, a suscité de longue date des adaptations cinématographiques de toute nature depuis Les vampires de Riccardo Freda jusqu’aux Lèvres rouges de Harry Kümel ; j’ai une certaine préférence pour le troisième des Contes immoraux de Walerian Borowczyk où la perversion saphique et sanglante de la comtesse s’affiche sans ambages. En revanche le film de Julie Delpy, tourné avec de beaux moyens et qui offre ici et là quelques belles images, ne prend pas assez parti. Fascination pour le sang, certes, pour la douleur aussi (ambigus épisodes avec le seigneur masochiste Dominik (Sebastian Blomberg), emprise aussi qu’elle exerce sur ses servantes qu’elle conduira jusqu’aux pires horreurs.

C’est bien intéressant tout ça ; mais à chaque fois qu’il est question des épouvantes de l’âme humaine, on a toujours l’impression que le réalisateur recule devant l’intensité de l’horreur.

Existe-t-il un seuil où rien n’est permis ?

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