Périlleux et assez réussi.
De la même façon que Michel Bouquet parvenait, sans ressemblance physique manifeste, à incarner parfaitement François Mitterrand dans Le promeneur du Champ de Mars de Robert Guédiguian, Denis Podalydès est étonnant de réalité, d’allure, de débit verbal en Nicolas Sarkozy dans cette Conquête.
Xavier Durringer a eu l’intelligence de ne pas se pencher sur les thèmes politiques, qui demeurent, bien entendu, sous-jacents, mais sur la stratégie d’accession à la Présidence de la République d’un homme pressé, stratégie juxtaposée avec le délitement d’un couple. Comme chacun de nous connaît la suite de l’histoire et comme les personnages évoqués sont réels, souvent célèbres, en tout cas notoires, il n’y a pas la sécheresse épurée de L’exercice de l’État qui présentait de l’intérieur la machinerie du Pouvoir, qui se situait hors de toute référence à des événements partisans. Mais, sur un registre moins intelligent, moins conceptuel, La conquête présente de façon très convaincante l’irrésistible ascension vers l’Élysée de celui qui en avait fait son unique objectif depuis sa prime jeunesse.
Cercle féodal de ceux qui ont accroché leur propre avenir, par fascination, admiration ou calcul, au destin du Patron, manœuvres tordues de ceux qui veulent le dégommer, par rancune, aversion ou jalousie, interférences des aventures privées qui influent sur les comportements, beaucoup y est, sinon tout. Sans doute les aventures tout autant publiques qu’intimes de Nicolas Sarkozy ont-elles été davantage exposées, exhibées, souvent vilipendées que celles de ses prédécesseurs : le grand public n’a su que bien après la fin de son Septennat que Giscard d’Estaing n’était pas une fine gâchette simplement sur les gros gibiers d’Afrique, et a connu seulement à la fin du double mandat de François Mitterrand l’affaire de la double famille ; et que Jacques Chirac se soit tapé un nombre considérable de militantes et de jolies femmes ministres a longtemps été ignoré. Et parallèlement les arcanes de la prise de possession de l’outil politique par les uns et les autres (Appel des 43 pour Giscard, Congrès de Metz (1979) pour Mitterrand, fondation du RPR pour Chirac, par exemple, et notamment) sont demeurées longtemps affaire de spécialistes et d’initiés, alors qu’aujourd’hui les moindres coups bas se donnent en direct et en public…
J’ai déjà dit que Denis Podalydès m’avait paru remarquable en Sarkozy ; excellente interprétation de Florence Pernel qui fait sentir avec beaucoup de justesse le détachement graduel de Cécilia. Bernard Le Coq est absolument parfait en Jacques Chirac : voix, dégaine, hypocrisie. Même observation pour Samuel Labarthe en Villepin. D’autres m’ont moins convaincu, notamment Hippolyte Girardot en Claude Guéant. Et au final, malgré quelques imperfections formelles (j’ai eu l’impression que les séquences censées se dérouler à l’Élysée ont en fait été tournées à Matignon), La conquête est un film intéressant.
Cela dit, compte tenu des aspects extrêmement conjoncturels, qui vieillissent toujours très vite, si ça intéresse, il faut se dépêcher de voir le film, si on en a envie. Dans trois ans, pour la prochaine campagne présidentielle, de l’eau aura coulé sous les ponts et ce sera une autre histoire qui se tissera.