Voilà qui n’est pas à mettre devant tous les yeux. Et cela non pas du fait d’images choquantes, vulgaires, cruelles ou pornographiques (sauf à étendre ces notions très loin !) ! Mais parce que 59 minutes consacrées, en plans quasiment tous frontaux, à l’expression de militants communistes italiens convoqués par leurs cellules à s’exprimer sur les propositions du Parti qui seront adoptées au Congrès de Bologne de mars 1990, peut ne pas présenter beaucoup d’intérêt pour la plupart. Sauf pour les maboules comme moi qui sont fascinés par le sort des partis communistes occidentaux.
Les Partis italien et français ont de très grandes analogies ; ils ont été, très longuement, les meilleurs élèves de la classe ; non seulement par le nombre et la qualité de leurs militants, par les résultats électoraux importants qu’ils ont obtenu, mais aussi par leur fidélité sans faille aux ordres de Moscou. Malgré le régime fasciste, alors qu’il était plongé dans la clandestinité, le PCI a, comme le PCF adopté comme l’exigeait le Komintern, la tactique catastrophique classe contre classe en 1927-28 et le retournement complet vers la politique de Front populaire à partir de 1935. Et en 1941, après l’invasion de l’Union soviétique, dans une réunion tenue à Toulouse, les deux mouvements obéissent à Staline et acceptent de s’allier à toutes les forces de résistance.
Même trajectoire parallèle après la guerre, notamment le soutien à l’écrasement de la révolte hongroise en 1956. Peut-être l’acmé du mouvement en Europe occidentale. Les choses commencent à diverger ensuite parce qu’en France le général de Gaulle donne une Constitution solide alors que l’Italie demeure dans la bouillie institutionnelle. Ce qui permet au PCI de connaître des heures de gloire éclatantes (34% des voix aux Législatives de 1976). Mais sous l’impulsion de Luigi Longo puis d’Enrico Berlinguer, le PCI commence à se détacher de Moscou et, par exemple, condamne, en 1968, la répression du Printemps de Prague ; d’autant qu’il est attaqué sur sa gauche par les terroristes des Brigades rouges (assassinat d’ Aldo Moro le 9 mai 1978). Mais cet assassinat marquera la fin de toute tentative de Compromis historique avec la Démocratie chrétienne et engagera le Parti sur la voie du déclin. Ceci malgré quelques sursauts (condamnation de l’agression soviétique en Pologne en 1981, 33% des voix aux Législatives de 1984).
La même année 1984 meurt Enrico Berlinguer. Les tensions sont d’autant plus vives dans le Parti que l’on sent monter, à l’Est, les premiers signes avant-coureurs d’effritement de la puissance soviétique. Le 12 novembre 1989, trois jours après la chute du mur de Berlin, le nouveau Secrétaire général du PCI, Achille Occhetto annonce que le prochain Congrès du Parti, prévu, donc, à Bologne en mars 1990 aura à se prononcer sur le maintien du nom et du terme Communiste et sur les symboles du Parti, la faucille et le marteau entrecroisés.
Et c’est là que commence le film de Nanni Moretti : dans tout le pays les cellules ou les fédérations sont appelées à donner leur avis sur les propositions faites par la direction et d’en débattre. On passe donc du village de Francavilla, en Sicile, à de plus fortes sections, à Gênes, à Bologne, à Naples, à Turin, à Milan, à Val de Pesa, (proximité de Florence), à Rome, enfin. Milieux divers, expressions diverses, préoccupations diverses (à Turin omnipotence des usines Fiat, par exemple). Qu’ils soient intellectuels, petits bourgeois, ouvriers, paysans, les militants s’expriment franchement, souvent avec qualité et recherche. La plupart appellent à un renouveau du Parti, une minorité au maintien intégriste de ses éléments fondamentaux, tous avec un grand respect et amour de leur engagement.
Mais beaucoup font état de leur désarroi, de leur désespérance, de leur désabusement. Chacun voit les aspirations communes se heurter à la réalité du monde, à l’effondrement prochain de L’Église communiste. Au Congrès de Bologne, la motion présentée par Occhetto recueille 67% des voix et, en février 1991, à Rimini, le Parti communiste italien (PCI) disparaît pour devenir le Parti démocrate de la Gauche (PDS) laissant sur le côté les scissionnistes nostalgiques du Parti de la refondation communiste (PRC).
Le PDS fut à la base de la coalition de L’Olivier qui gouverna l’Italie entre 1996 et 2001 avant l’arrivée au pouvoir de Silvio Berlusconi.
Il y a dans ce message beaucoup d’histoire contemporaine et bien peu de cinéma ; mais lorsque le cinéma peut nous montrer avec tant de soin ce qui se passe dans les plis de l’Histoire, précisément, il est aussi indispensable que pour tout le reste des bonheurs qu’il nous donne.