Il me semble qu’il y a toujours, dans les histoires qui mettent en scène les gens de théâtre et de music-hall, la distillation d’une goutte d’amertume. Est-ce dû au regard condescendant que le 7ème art porte sur son très ancien prédécesseur ou plutôt sur la bizarre existence de groupes qui se sentent assez différents du sort commun, dont les espérances ont pu être folles, les succès démesurés et les écroulements spectaculaires ? Car les acteurs, même les plus effacés et les moins talentueux connaissent ou se rappellent avoir connu une vie très différente de celle d’un notaire ou d’un épicier de province.
Le cinéma peut aller loin dans la morbidité. Le meilleur exemple est sûrement La fin du jour de Julien Duvivier (1939) ; mais on peut citer aussi Dernier amour de Dino Risi (1978) l’un et l’autre film sur les vieux comédiens qui regrettent les feux de la rampe qu’ils ont connus. Mais il y a aussi un pathétique des tournées, ces représentations qui, aux temps où la télévision n’existait pas, faisaient les belles soirées provinciales. On va citer Trois jours à vivre de Gilles Grangier en 1957 ou Les grands ducs de Patrice Leconte en 1996. Toujours une nuance, un arrière-plan de tristesse, quelquefois imperceptible, que l’éclat des planches ne parvient pas toujours à masquer.
Je ne dis pas que La crise est finie recèle une de ces pépites d’eau grise mais c’est tout de même un film intéressant. On ne sait plus trop aujourd’hui qui était sa vedette principale, Albert Préjean qui a pourtant tourné beaucoup de mauvais films mais qui a rayonné quelquefois, par exemple dans L’alibi de Pierre Chenal en 1937, et, la même année le remarquable Mollenard aux côtés du grand Harry Baur.
Mollenard a été réalisé par Robert Siodmak, juif germano-américain, qui a tourné beaucoup et dans beaucoup de genres, quelquefois avec grand talent (Pour toi j’ai tué,1949, Les SS frappent la nuit, 1957). Sorte de réalisateur-protée, capable de présenter au public un peu ce qu’il voulait. Et notamment ce petit film charmant, virevoltant, insignifiant aussi, La crise est finie
Mais ce n’est ni pour Albert Préjean, ni pour Robert Siodmak que j’ai eu envie de regarder La crise est finie : c’est naturellement pour la plus ravissante actrice du siècle dernier, Danielle Darrieux. Elle n’avait alors que 17 ans mais elle tournait là, déjà, son neuvième film. Le neuvième film d’une carrière immense où elle n’a jamais déçu, où elle s’est insérée dans tous les personnages, dans tous les rôles, dans toutes les incarnations.
Le film n’a, à dire le vrai, guère d’intérêt : une de ces troupes évoquées plus avant se trouve bloquée parce qu’elle n’a plus un sou, au fin fond de Périgueux ; les caractères sont assez simplement exposés : Marcel, le musicien et animateur (Préjean), Nicole, la jolie fille, doublure de la vedette (Darrieux), la vedette, précisément, l’exécrable Lola (Régine Barry), Olga, l’ancienne star, un peu tapée (Suzanne Dehelly), un peu déchue et très généreuse. Afin de sauver la cohésion de la troupe il est décidé de monter à Paris. À la suite d’une heureuse série de hasards, les comédiens montent une revue qui rencontre un triomphe. C’est tout ? C’est tout !
Qu’est-ce que ça peut faire ? C’est gai, les chansons qui émaillent le film sont réussies, l’intrigue prévisible mais bien tournée. Pour un film de samedi soir on ne peut pas demander beaucoup plus, n’est-ce pas ?