Lettre ouverte contre une vaste conspiration.
Le titre que je donne à ce message est celui d’un essai de Jules Romains écrit en 1959 sur les ferments de décadence de notre Civilisation. Cet essai n’a aucun rapport avec La dernière tentation du Christ, mais il m’est immédiatement venu à l’esprit après que j’ai fini de regarder le long film de Martin Scorsese. Dire pourquoi est malaisé et le film tourne encore dans ma tête sans que je puisse dire s’il m’a choqué ou laissé indifférent.
À dire vrai, il me semble que le succès du film, comme celui du livre de Nikos Kazantzakis, dont il est fidèle adaptation a été davantage de scandale que d’admiration, l’un et l’autre soulevant les foudres de toutes les autorités chrétiennes. Je puis comprendre les indignations et les protestations, j’approuve que S.E. le Cardinal Lustiger, dans sa double identité de Juif de naissance et de plus haute autorité catholique française ait obtenu du président François Mitterrand la suppression de 3 millions que ce faiseur de Jack Lang avait attribués à l’œuvre, insulte aux convictions de millions de Français. Mais je n’aurais pas été, je pense, de ceux qui ont violemment manifesté contre le film, jusqu’à placer une bombe dans un cinéma parisien : il me semble que dans ces domaines, lorsqu’on s’oppose aux thèses défendues, le mieux est de ne pas leur donner un éclairage aussi éclatant (sans jeu de mots : il y a eu tout de même 14 blessés).
La vaste conspiration évoquée ci-dessus, c’est donc celle qui a connu un certain succès depuis 2000 ans. Après qu’il a fui l’immolation sur la croix et, abandonnant toute prédication, s’est marié avec Marie-Madeleine (Barbara Hershey), Jésus (Willem Dafoe) rencontre Paul (Harry Dean Stanton) qui prêche sa doctrine avec une conviction brûlante et lui reproche de le présenter comme le fils de Dieu alors qu’il n’est qu’un homme imparfait et plein de doutes. Et voici ce que paul lui répond (citation du roman tirée de Wikipédia, mais dont l’esprit est similaire dans le film : Je me moque bien des vérités et des mensonges, de t’avoir vu ou pas, que tu aies été ou non crucifié. Moi, à force d’entêtement, de passion et de foi, je forge la vérité. Je ne m’efforce pas de la trouver, je la fabrique (…) ton corps, la couronne d’épines, les clous, le sang ; tout cela fait maintenant partie des instruments du salut, on ne peut plus s’en passer. D’innombrables yeux, jusqu’aux confins du monde, se lèveront et te verront crucifié dans l’air. Ils pleureront et les larmes purifieront leur âme de tous leurs péchés.
C’est évidemment un point de vue qui peut se défendre : un Illuminé, qui, au fond d’une petite province perdue de l’Empire romain, finit par se convaincre qu’il est le Messie envoyé par Dieu pour rédimer l’Humanité. Enseignement de bonté, de charité et d’amour. Constitution d’un groupe de disciples fanatiques autour de lui. Incertitude sur son sort, contradictions dans le langage et dans la direction à donner à son groupe. Les autorités juives et romaines décident qu’un pareil perturbateur ne peut pas continuer comme ça à mettre le bousin partout. Procès rapide, torture, crucifixion.
Deux mille ans que nous vivons là-dessus. Une imposture. Si ça peut faire plaisir à tous les conspirationnistes qui font florès…
Dans cet esprit là qui tient davantage de la faribole que du blasphème que penser du film de Scorsese, interminable (2h40), dense, bien interprété, dans des décors choisis à merveille ? À part quelques scènes d’assez mauvais goût (Jean le Baptiste et son assemblée d’hystériques, Jésus arrachant de sa poitrine son cœur palpitant, la couronne d’épines qui semble une pâtisserie compliquée), il y a de la tenue, de la réflexion. Mais quelques détails un peu dérangeants : par exemple le séjour au désert et le combat contre les tentations se situent dans le film AVANT le baptême par Jean alors que les Évangiles font de la retraite et de la méditation la suite logique du baptême. Et surtout une certaine façon de privilégier l’anecdote (c’est-à-dire les miracles : les noces de Cana, la guérison de l’aveugle, la résurrection de Lazare) sur l’enseignement (belle séquence des Béatitudes, néanmoins).
Au final une œuvre un peu ennuyeuse ; Scorsese ne paraît pas avoir pu faire passer la complexité des interrogations de Nikos Kazantzakis ; il me semble d’ailleurs qu’on ne parle plus guère du film.