Les bas-fonds.
Le titre du film, La dérobade, ne me paraît pas absolument convenir à cette histoire forte et effrayante, même s’il est adapté du roman autobiographique de Jeanne Cordelier ; celle-ci, issue de la misère noire et de l’abjection familiale, autodidacte et devenue auteur de renommée internationale a relaté sous un jour presque documentaire la vie de celles qu’on a du mal à nommer filles de joie. On est bien loin de la chaleur endormeuse de La maison Tellier (Le plaisir) de Max Ophuls, de Dédée d’Anvers d’Yves Allégret de La petite de Louis Malle, de la petite entreprise individuelle d’Irma la Douce de Billy Wilder, de Jamais le dimanche de Jules Dassin, même des Nuits de Cabiria de Federico Fellini et plus encore de la perversion sophistiquée de Belle de jour de Luis Buñuel… Et de de tant d’autres films. Dans La dérobade, la prostitution est présentée sous son jour le plus sordide, le plus violent, le plus cruel.
On comprend néanmoins assez pourquoi
Jeanne Cordelier a appelé ainsi son roman puisque finalement il aboutit, comme le film, à la libération chèrement payée de l’esclavage de la prostitution et au chemin vers la vie nouvelle. Mais, pendant deux heures, on assiste à un déferlement d’horreurs si affreuses qu’on en demeure assez marqué. Et ceci bien que la mise en scène de
Daniel Duval manque d’originalité et aboutit à un répertoire un peu scolaire de toutes les situations que peuvent connaître les passantes de la nuit.
On peut raisonnablement penser que la prostitution d’abattage (comme c’est joliment dit !) qui concernait beaucoup les travailleurs immigrés maghrébins des Trente glorieuses est en sérieuse diminution… Pourquoi ? sûrement pas à cause d’une prise de conscience éthique, mais tout simplement parce que la lumineuse idée du regroupement familial (autorisé en 1976 par Giscard, Chirac et Stoléru ; en voilà une idée lumineuse et porteuse de conséquences !!!) a permis auxdits travailleurs de faire venir du bled leurs femmes, ce qui était pour eux infiniment plus pratique et moins onéreux.
Mais pour le reste, le trafic international d’êtres humains, comme on l’appelle, est une des plus lucratives ressources des mafias diverses et bénéficie, lui aussi, des progrès de la Sainte Mondialisation.
Il y en a pour tous les goûts : Albanaises, Tchétchènes, Nigérianes, qui se répartissent sur les boulevards extérieurs de Paris, chacune ayant des territoires ; il y a la petite industrie familiale (si je puis dire) des autochtones qui font ça en camionnettes dans le bois de Vincennes ; il y a les travelos brésiliens du bois de Boulogne ; il y a les escort girls et toutes les putes de luxe qui hantent (!) les palaces et naturellement les services vendus sur Internet.
Et cette multiplication de la ressource n’a pas fait diminuer le nombre des clients, ce qui n’a rien d’anormal, puisqu’il y aura toujours les timides, les moches, les infirmes, les mecs qui n’aiment pas faire des phrases, et ceux qui veulent un coup rapide et sans problème avec une fille canon (Robert De Niro il y a quelques années au Bristol, ou non canon Dominique Strauss-Kahn vers huit heures et demie du matin au Sofitel de New-York en mai 2011) qui fourniront la clientèle.
Voir sur ça, une fois de plus, et comme toujours, Michel Houellebecq dans ‘’Extension du domaine de la lutte’’, un de ses plus grands livres : le libéralisme économique, les disparités invraisemblables qu’il créé comporte son pendant sexuel : mêmes orientations et mêmes conséquences.
Dans La Dérobade il y a des scènes-choc d’une grande violence, d’une vraie violence, qui n’est pas la violence des étripailles des films gore ou des bastons blockbustés, mais la violence mauvaise des situations tragiques et de la misère humaine. Et des pauvres gars tristes qui viennent s’épancher auprès d’une fille à peau douce et tarifée, et puis tirent furtivement leur coup parce qu’il faut bien en finir (‘’Après…ma foi on conclut parce qu’on ne trouve pas toujours de porte de sortie’’ ; Louis Aragon dans ‘’Les voyageurs de l’impériale’’). Le drame, c’est qu’on se demande ce qu’on peut y faire : pénaliser les clients ? Le moralisme d’aujourd’hui – c’est-à-dire la dictature du Bien imposée à la société – est un des plus pesants et gluants marécages dont nous souffrons. La société n’a pas à être morale…
Miou-Miou n’a évidemment pas fait une carrière exemplaire ; mais elle avait de la qualité, du piquant, de l’émotion. Elle est là, en incarnant Marie, pauvre fille résignée puis révoltée, d’une justesse d’expression extraordinaire.
Daniel Duval, trop beau ténébreux pour qu’on ne le confine pas dans un type de rôles, montrait là qu’il pouvait aussi frapper fort et juste… Et le reste de la distribution est d’un très beau niveau, notamment
Niels Arestrup, voyou calme et sanguinaire,
Guy Kerner, client sadique qui déchire Marie et Madame Pédro
Martine Ferrière sévère tenancière de bordel bien tenu.
Un défaut : la musique de Vladimir Cosma, que j’ai trouvée niaise et datée.
This entry was posted on dimanche, novembre 17th, 2024 at 17:48 and is filed under Chroniques de films. You can follow any responses to this entry through the RSS 2.0 feed.
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