La sainteté, tout le monde vous le dira, c’est très difficile non pas seulement à vivre, mais même à faire ressentir. Il y a quelques miracles de spiritualité (évidemment Thérèse d’Alain Cavalier) mais la plupart du temps c’est sur le terreau de vies presque légendaires (tous les péplums qui présentent les débuts du christianisme, du type Quo vadis ? de Mervyn LeRoy)ou celui d’une existence bien connue, qui a laissé de grandes traces dans la culture religieuse populaire. Par exemple Le chant de Bernadette d’Henry King ou Monsieur Vincent de Maurice Cloche.
La sainteté de Maria Goretti est beaucoup moins spectaculaire. C’est celle d’une petite fille issue d’une famille misérable et très pieuse, contrainte par la dureté des temps de quitter la région des Marches, sur la mer Adriatique, pour tenter de survivre sur des terres pouilleuses du sud de Rome. Les fameux Marais Pontins, dont l’assèchement, de 1928 à 1932 fut un des grands titres de gloire de Benito Mussolini (un autre étant l’arrivée des trains à l’heure). Mais en 1900, époque où se situe le film, c’est une suite de terres pauvres, envahies par l’eau croupie où se développent richement moustiques et malaria.
Vies de chiens, vies de misère et de labeur continu où tous, père, mère, enfants travaillent comme des bêtes de somme, sans jamais se plaindre et à peine en espérant un avenir meilleur. Un peu de pitié manifestée par le comte (Michele Malaspina) et la comtesse Tenneroni (Rubi d’Alma) contre l’avis de leur régisseur, qui ne veut pas de ces pouilleux qui arrivent d’on ne sait où, un peu de générosité du curé de la paroisse ou le médecin du coin (Domenico Viglione Borghese), voilà qui est presque inespéré.
Luigi (Giovanni Martella) et Assunta Goretti (Assunta Radico) et leur ribambelle d’enfants s’établissent dans la ferme exploitée par l’ivrogne Giovanni Serenelli (Francesco Tomalillo), dont le fils, Alessandro (Mauro Matteucci), âgé de 20 ans, n’est pas particulièrement mauvais bougre mais lorgne d’emblée sur la beauté de Maria (Ines Orsini), qui n’a que 11 ans. La vie s’écoule, sous un ciel de suie, au milieu des eaux croupies, dans les gifles de pluie battante, dans la boue des canaux qu’il faut continuellement nettoyer, creuser, évider, dans les terres qu’il faut bêcher pour essayer d’y arracher, le temps venu, un peu de substance.
Il n’y a pas à dire, Alessandro et Maria sont attirés l’un vers l’autre ; mais je rappelle que l’un a 20 ans, l’autre 11. Ça situe la question. D’autant plus que le père Goretti/Martella, épuisé par le travail et la malaria succombe de fatigue. Même menée par la forte et belle Assunta, la famille est fragilisée. Le père Goretti, sentant sûrement que l’atmosphère du coin est mauvaise, aurait d’ailleurs voulu que les siens quittent la contrée. Mais où aller ?
C’est le printemps. Maria prépare sa Première communion ; au catéchisme, elle se montre tout de suite fervente, brûlante, sans doute un peu trop scrupuleuse. Le péché de chair lui fait particulièrement horreur, au moment même où Alessandro commence à la serrer de près, au moment même où sa mère Assunta est courtisée par le vieil ivrogne Giovanni qui, veuf, a envie de chair. Ce n’est pas mal, dans le film, cette pulsion érotique, désirante, tellement humaine.
Et plus le temps passe, plus Alessandro traque Maria. Jusqu’au bout. Jusqu’à ce que, ne pouvant plus se contraindre, il la tue de 14 coups de couteau. Mais elle a dit Non jusqu’au bout, a défendu sa virginité, alors même qu’il n’y avait pas de doute sur l’attirance qu’elle ressentait. Scrupule ou folie ? Va savoir ! Il faut tout de même noter que le film de Genina vogue vers le mélodrame : à aucun moment on ne peut songer que Maria a 11 ans, Alessandro 20. On pourrait les voir amoureux réservés, elle plus chaste mais prête à accepter le mâle s’il n’était beaucoup plus vieux qu’elle.
Je n’ai pu trouver quel âge, lors du tournage du film, avait Inès Rossi qui interprète donc une petite fille qui, paraît-il, semblait aborder l’adolescence, mais qui dans le film doit avoir au moins 15 ans. De ce fait ni le niveau puéril de ses scrupules religieux ni ses effarouchements devant l’amour ne sont vraiment compréhensibles au spectateur qui n’est pas au fait de l’histoire réelle de Maria Goretti.
J’ajoute que si Genina montre bien Maria pardonner à son assassin sur son lit de mort, il aurait pu indiquer dans un carton qu’Alessandro, après 27 ans de réclusion criminelle alla implorer le pardon d’Assunta, mère de la victime, l’obtint et termina sa vie Tertiaire franciscain. Voilà qui pouvait donner un peu de lumière à une histoire affreuse.
C’est cela qui ne va pas dans La fille du marais : magnifiques images, beaux personnages, mais en fin de compte de la niaiserie et un ciel trop noir..