Mon Dieu, qu’ils étaient excellents, les films de la Hammer, reconnaissables entre tous grâce à leurs costumes, à leurs décors, à la façon dont les images étaient filmées, graves, belles, menaçantes, diurnes ou nocturnes mais toujours angoissantes ! Mon Dieu, combien il y avait d’inventivité, de subtilité, d’élégance dans les récits que cette grande maison offrait à ses innombrables admirateurs qui s’appuyaient sur le talent de grands acteurs, Christopher Lee et Peter Cushing. Et dans La gorgone les deux vedettes sont là, qu’on peut juger presque à contre-emploi, Lee en bon, Cushing en méchant ! Et en fait ce n’est pas si simple que ça.
Il y a dans La gorgone tout le charme et l’atmosphère des grandes belles années de Terence Fisher mis au service d’une histoire originale ; on peut d’ailleurs s’amuser à retrouver les traces, les orientations, celles qui ne s’appuient pas sur les merveilleux récits de vampires, mais sur d’autres légendes, d’autres clivages. Par exemple l’appel à la survivance des dieux de jadis qui font retour dans notre ère ; Malpertuis de Harry Kummel, d’après Jean Ray, par exemple. Ou bien, pour le secret confiné dans une petite société villageoise qui se tait,L’œil du malin de Jack L. Thomson en 1966 ou The Wicker Man de Robin Hardy en 1973.
Cela étant, ça commence, comme d’habitude, dans un paysage austère, glacial, rude, désolé, abrupt, dominé par un château en ruine. Et avec une forêt hostile, secouée de pluie et de vent. Ça se passe dans l’Europe centrale du début du 20ème siècle, dans ces terres mal définies, allemandes et slaves tout à la fois. Un septième meurtre en cinq ans ; des jeunes filles pétrifiées par on ne sait quelle malédiction que le professeur Namaroff (Peter Cushing) tente d’explorer, angoissé par l’inquiétude qu’il ressent du mystère évident de la contrée.Comme souvent tout cela se passe au début du 20ème siècle, à une époque où cohabitent engagements scientistes et croyances encore fascinées pour les fariboles légendaires : on se plonge en même temps dans l’expérimentation scientifique la plus rigoureuse, mais on accorde du poids aux vagues idéologies du spiritisme.
Dans une bourgade de Transylvanie (ou d’un ailleurs proche), un jeune artiste peintre, Bruno Heitz (Jeremy Longhurst), amant de la jolie Sasha (Toni Gilpin) est soupçonné d’avoir assassiné sa maîtresse, septième victime, avant de se pendre à un arbre. Son père ((Michael Goodliffe), rigoureux professeur de Lettres de l’Université de Leipzig n’accepte pas les explications lénifiantes qui lui sont données par les autorités. Mais il est, lui aussi, frappé par la malédiction de la contrée, après avoir fait appel à son fils Paul (Richard Pasco) pour l’aider à résoudre les nombreux mystères qui volent.
Le mystère sera, bien entendu, dévoilé, dans les dernières vingt minutes, qui ne sont pas les meilleures. D’autant que, pour des raisons incompréhensibles, les scénaristes ont mélangé les noms des Erinyes, divinités vengeresses (mais positives) de la mythologie grecque (Mégère, Tisiphone et Alecto) avec les abominables, démoniaques Gorgones (Méduse, Euryale et Sthéno). Toujours est-il que les malheureux qui ne peuvent échapper au regard de la créature maléfique se voient, à bref délai, littéralement pétrifiés.
Un lourd secret partagé pèse sur cette malédiction ancestrale : on le comprend assez vite. Mais, même si l’on ne peut pas être tout à fait satisfait du procédé, trop prévisible pour être vrai, on pourra prendre sa quantité de plaisir à ce film des belles années de l’épouvante classique.