La loi

La chatte sur un toit brûlant.

Merveilleux romancier désinvolte, dandy hédoniste et drogué, Roger Vailland avait été brisé par la révélation des crimes du stalinisme par Nikita Krouchtchev lors du XXème Congrès du Parti communiste soviétique en février 1956. C’est sans doute pour cela qu’il a changé radicalement l’orientation de ses romans, jusqu’alors bâtis sur l’idéologie de la lutte des classes. Avec La loi, qui reçut le Prix Goncourt en 1957, il substituait les rapports féodaux aux rapports sociaux modernes. Et c’est naturellement qu’il situait son intrigue dans une région européenne où l’archaïsme féodal pesait encore.

Nous sommes au sud de l’Italie, dans les Pouilles, sur la mer Adriatique, dans le village de Porto Manacorea. Le paysage calciné de soleil paraît immuable : pierres dorées, poussière, hommes désœuvrés, femmes soumises. Un seigneur vieilli, mais tout puissant encore, Don Cesare (Pierre Brasseur) et un grand voyou qui voudrait bien prendre désormais la main, Matteo Brigante (Yves Montand). Au milieu des jeux de pouvoirs, désirée par tous et à tous rebelle, une sauvageonne, Marietta (Gina Lollobrigida) qui n’obéit qu’à son bon plaisir et qui fascine jeunes et vieux.

Le monde moderne commence pourtant à s’insinuer dans ces terres latifundiaires. Le tourisme pointe son nez et des visiteurs de la prospère Suisse exhibent leurs liasses de billets. Davantage encore un ingénieur agronome, Enrico Tosso (Marcello Mastroianni) a été chargé par son administration d’assécher les marécages immuables de la contrée. N’empêche qu’il faudra encore beaucoup de temps pour que l’ordre social vacille vraiment. Pour que Don Cesar ne dispose pas d’une sorte de harem parmi ses servantes et qu’il ne commande pas en maître absolu à son homme de confiance, Tonio (Paolo Stoppa), l’ivrogne qui lui est tout dévoué et davantage encore depuis que le patriarche l’a marié à une toute jeune fille qu’il avait engrossée.

Dans cette société fermée, le commissaire de police Attilio (Vittorio Caprioli) est particulièrement soumis à l’autorité traditionnelle de Don César, mais, coureur compulsif, il fricote aussi avec Brigante qui lui prête de temps en temps la clef de sa garçonnière.

Qu’est ce qui reste ? Le curé du village, respecté mais négligé et le juge Alessandro (Teddy Bilis), honnête et falot, marié avec Lucrezia (Melina Mercouri) qui se meurt de désir pour le jeune Francesco (Raf Mattioli), fils du douteux Brigante/Montand qui termine sa formation d’avocat et qui est émerveillé devant la perspective d’une aventure avec une femme élégante et désirable.

La Loi, c’est aussi le jeu tendu, dégradant, en principe interdit mais en fait pratiqué par tous, qui se tient dans les tavernes. Un jeu où le patron, désigné par le sort, mais qui choisit un sous-patron a le droit de dire n’importe quoi à n’importe qui, d’exiger les pires humiliations, les pires dégradations. Et chacun ne vit que dans l’espérance d’être, lors d’une partie suivante, le patron qui se vengera de tout ce qu’il a entendu et qu’il a pratiqué.

Au sein de la chaudière brûlante, les personnages vont et viennent, souvent misérables, souvent voleurs, quelquefois prospères. Mais le ciel est bleu, le soleil brille, la mer est douce. Et le suicide de Lucrezia/Mercouri, lassée de sa vie sans perspective ne fera pas beaucoup de vague, ne laissera pas beaucoup de trace. Sauf pour son mari, sûrement, mais enfin, il n’est pas du pays…

Curieusement entrecoupé de musiques et de chansons singulières, La Loi réunit une distribution très intéressante, bien qu’Yves Montand soit encore un peu guindé. Pierre Brasseur en revanche est formidable. Mais le film est dominé, cela va de soi, par l’incroyable allure de Gina Lollobrigida, véritable scandale charnel dont c’est assurément un des meilleurs rôles.

 

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