Le film ne serait qu’une collection un peu longuette de vignettes ennuyeuses et de pont-aux-ânes vertueux s’il ne portait un éclairage intéressant sur la secte des Quakers, qui est un peu moins originale que celle des Amish, mais tout de même bien singulière. Sans cet éclairage original, c’est une histoire bien rose-pâle, bien convenue et bien manichéenne. Tous les Nordistes sont beaux, vertueux, loyaux et (presque) désintéressés. Tous les Sudistes sont vulgaires, violents, dépenaillés et pillards. Ben voyons ! Il y a une histoire d’amour dont l’évidence ne trompe ab initio que ceux qui la vivent, des dilemmes abyssaux habilement résolus et la vie d’une famille honorable qui fait songer à La petite maison dans la prairie.
Je me moque à peine alors que j’ai suivi sans ennui ce récit qui se passe en 1862 dans le sud de l’État d’Indiana. État qui est à la lisière entre la Fédération et la Confédération et où les soldats confédérés menacent la tranquillité de fermiers humanistes. Et notamment celle de la famille Birdwell composée de Jess (Gary Cooper), de sa femme Eliza (Dorothy McGuire) devant qui Jess file doux et des trois enfants, Jack (le tout jeune Anthony Perkins), la jeune fille Martha (Phyllis Love) et le gamin Little Jess (Richard Eyer) ; on pourrait presque ajouter l’esclave noir évadé Enoch (Joel Fluellen) et Hermine, qui est une oie facétieuse et chérie de la maîtresse de maison.
Si la contrée compte de nombreux méthodistes, dont l’ami Sam Jordan (Robert Middleton) et son fils Gard (Peter Mark Richman), qui est amoureux de Martha Birdwell, elle est aussi dotée d’une bonne communauté de Quakers. Et Eliza Birdwell en est un membre influent. Cela alors même que ce groupe de dissidents puritains né au 17ème siècle et appelé ainsi (quaker=trembleur) par dérision ne connaît aucune hiérarchie ecclésiale, rejette tout clergé et même la seule autorité de la Bible ; ceci au bénéfice de la lumière intérieure de l’inspiration jaillissante de la Parole divine lors des célébrations où règne sans cela le plus grand silence.
Cette sorte de partie documentaire de La loi du Seigneur est assurément la meilleure du film. Tenue vestimentaire d’une grande modestie, refus absolu de faire appel à la violence, tutoiement systématique et égalité entre hommes et femmes, interdiction de l’esclavage, puisque nous sommes tous Enfants de Dieu. Tout cela n’est pas antipathique, simplement assez original dans l’atmosphère assez violente des États-Unis du 19ème siècle et dans le contexte de la guerre de Sécession. Mais la philosophie religieuse des Quakers est exigeante (elle interdit même la musique) et William Wyler en marque bien les difficultés. Ainsi, par souci de modestie et par refus des inégalités et des supériorités, il n’est pas question d’engager la moindre lutte, fût-elle sympathique et amicale. Et la famille Birdwell se rendant au culte voit régulièrement sa carriole dépassée par celle de l’ami Jordan qui se rend à la célébration presbytérienne, ce qui fait enrager Joss, qui dispose d’un cheval de belle allure mais en rien compétiteur. Cela jusqu’à ce que, à l’occasion d’un voyage vers l’Ohio, il échange sa rossinante pour un roussin de piètre apparence, mais si fougueux et entêté qu’il ne se laisse plus jamais dépasser.
Toute cette première partie du film est aimable et un peu niaise. Puis les Sudistes arrivent dans la contrée et le dilemme se pose aux quakers : faut-il lutter pour défendre terres et récoltes ou laisser la volonté de Dieu décider ? On voit bien que ce n’est pas simple, mais que ça fournit de riches perspectives romanesques. Heureusement, si la Loi du Seigneur est rude, elle est aussi juste et bienveillante et tout se terminera au mieux pour tous.
De beaux paysages, des acteurs attrayants, mais une musique insignifiante (pourtant de Dimitri Tiomkin) et surtout vingt bonnes minutes de trop. Wyler aurait gagné à resserrer le rythme et à supprimer des scènes parasites qui n’apportent rien au récit. Ainsi, par exemple, lors du voyage en Ohio où Jess/Cooper échange son cheval et alors qu’il est accompagné de son grand garçon Jack/Perkins, le lourd épisode de la ferme où il n’y a plus d’homme depuis longtemps et où les trois filles de la fermière, Opale, Rubis et Perle se jettent sur le pauvre puceau. Inutile et peu drôle.
Mais le reste est très acceptable. Au point même d’avoir obtenu la Palme d’or au festival de Cannes de 1957. À ce même festival, les jurés, présidés par Jean Cocteau auraient pu couronner Un condamné à mort s’est échappé de Robert Bresson ou Les nuits de Cabiria de Federico Fellini ; ou même (il y en a qui aiment), Le septième sceau d’Ingmar Bergman. Et puis qui se souvient des palmarès ?