Le cœur frais de l’Europe
Certes, la gentillesse, la bonne éducation, les happy ends, les enfants bien élevés et les disciplines fermes (mais justes !) ne sont pas nécessaires à la confection des bons films ; je pense plutôt, d’habitude, que nous ne vivons pas dans un monde conçu par Walt Disney et je partage assez l’avis de Jules Romains (dans Comparutions, tome 24 des « Hommes de bonne volonté« , tas d’ignares !) : Celui qui n’ose pas, de temps en temps, penser avec calme une chose affreuse ne sera jamais à tu et à toi avec la nature humaine. Ces déclarations liminaires et définitives étant faites, je trouve qu’il est bien agréable, de temps en temps de se retrouver avec des gens qui s’aiment et qui luttent et qui gagnent.
Et qu’il est délicieux de s’attendrir dans ce conte de fée moderne où la jeune novice d’un couvent de Salzbourg est envoyée en mission par ses supérieures afin d’être la gouvernante d’une famille pleine d’enfants turbulents mais au coeur d’or, dont le père, veuf bien séduisant, va s’éprendre de l’apprentie nonne. Tout cela, donc, se passe en Autriche,le cœur frais de l’Europe comme le proclamait un slogan touristique de mon jeune temps !
La gaieté, la tendresse, la beauté calme de cette histoire, de ce film, qui se déroule pourtant aux sombres jours de l’Anschluss, la qualité de sa musique, l’émotion toujours présente dans les péripéties de l’histoire de la famille Trapp en font un enchantement.
Qu’il soit réalisé par Robert Wise quelques années après seulement West Side Story me conforte dans l’idée qu’il est des cinéastes qui sont pourvus d’une capacité de faire surgir la grâce. Surtout lorsqu’ils bénéficient de l’extraordinaire abattage, de la « présence » exceptionnelle de Julie Andrews, magnifique.
Il ne faut pas être d’humeur sarcastique ou goguenarde, mais en revanche être prêt à se plier à toutes les conventions du genre, ne pas refuser de laisser ses yeux s’humidifier à certains passages un peu mélodramatiques, ne pas s’effaroucher de séquences aussi mièvres que jolies, apprécier la Vertu récompensée, la vie de famille et les triomphes mérités. En gros, si vous avez une nièce d’un âge compris entre six et dix ans, que vous aimez beaucoup, vous l’invitez un dimanche pluvieux, vous lui faites déguster vos succulents muffins (donnez-moi la recette ! est-il vrai que vous les confectionnez avec de la graisse de caribou longuement vieillie dans des outres en peau de phoque ?), et vous placez tous deux devant l’écran. L’émerveillement de la chère tête blonde vous incitera à la bienveillance, à une sorte d’empathie universelle qui vous placera dans les meilleures conditions.
Sans blaguer, c’est vachement bien !
Et à l’heure où, le cœur tremblant, je m’apprête à revisionner bientôt La horde sauvage, je me redis qu’il faut de tout pour faire un cinéma !