Images rares des jours sombres
Dieu sait s’il existe sur la période noire du nazisme et de la guerre de 39-45 des monceaux d’archives et des montages subtils de documents, en premier lieu le remarquable De Nuremberg à Nuremberg de Frédéric Rossif qui date de 1994 et constitue le plus complet, le plus exhaustif des films (à qui je reproche seulement un peu de s’étendre très, trop longuement sur le procès de 45-46) ; Dieu sait si la télévision, périodiquement nous présente des archives, parfois très novatrices, comme la remarquable série Ils ont filmé la guerre en couleurs ; Dieu sait si des pistes ont été ouvertes, terrifiantes, sur l’Holocauste, jadis (Nuit et brouillard de Resnais) ou naguère (Shoah de Claude Lanzman) ; Dieu sait si Le Chagrin et la pitié de Marcel Ophuls a permis de gratter jusqu’au saignement certaines hontes jusqu’alors tues…
Mais je ne suis pas très sûr qu’il y ait beaucoup de montages comme cette Mémoire courte qui présentent à la fois, sous une forme chronologique et pédagogique le déroulement factuel de la Guerre, mais aussi dressent une chronique de l’Occupation, de ses horreurs, mais aussi de ses aspects cocasses (la mode, la vie mondaine, la débrouillardise dans les transports), grotesques (l’adulation du Maréchal Pétain, les objets à lui consacrés, médailles, bustes, timbres), intemporels (la vie artistique), sordides (le rationnement), voire porteurs d’avenir (les Chantiers de jeunesse dont furent issus beaucoup de cadres de la Résistance).
En 1963, lorsqu’il est sorti, ce film était assez innovant et avait frappé les esprits ; l’écart avec la période décrite – moins de vingt ans – permettait de raviver des souvenirs, de s’adresser à beaucoup de ceux qui avaient vraiment connu ces moments, mais aussi de montrer aux jeunes pousses du baby-boom (dont j’étais !) ce qu’avaient vécu leurs parents ; la télévision était infiniment moins répandue qu’aujourd’hui, et, d’ailleurs, confinée à une unique chaîne, ne présentait pas ces images.
Revu aujourd’hui, le film me paraît tout autant passionnant qu’il l’était alors : il comporte une foule d’images que je n’ai jamais vues ailleurs, ne se contente pas de filmer la France, mais fait des incursions un peu partout, en Norvège, en Yougoslavie, en Italie (dites moi un peu si vous connaissez le visage de Quisling ou celui d’Ante Pavelitch !) ; il montre aussi des scènes rares d’Allemagne, de sélection de femelles aryennes, blondes, grasses, au bassin large, propres à porter un grouillement de bébés sélectionnés qui gigotent comme des lombrics sur un grand espace commun).
Images rares aussi que ces films de propagande britanniques, tournés pendant la bataille d’Angleterre, bruissants de courage tranquille, prêchant la défense passive et montrant tout un peuple au travail, femmes largement comprises ou de bandes américaines qui, juste après Pearl-Harbour m’apprennent que les États-Unis ont rationné l’essence, le bœuf, le beurre afin de faire face à l’effort de guerre.
Le commentaire est intelligent, peu partisan, digne, bien écrit et bien dit : c’est par la distanciation qu’il souligne certains aspects monstrueux, notamment lorsque sont montrés des films de propagande allemande.
Je conseille donc à tous La Mémoire courte, exemplaire d’un regard très diversifié, synthétique et intelligent ; il est dommage qu’on ne le trouve jamais dans les bacs et j’ai dû le commander directement sur le site de René Chateau qui, pour avoir édité cette rareté mérite, pour une fois, toute ma sympathie.