Journal d’un prêtre un peu las.
Drôlement intéressant et drôlement bancal, ce film qui décrit avec talent la vie sans particulier éclat d’un jeune prêtre italien en 1985 ; un jeune prêtre confronté à toutes les dures réalités de l’existence, qui laissent bien peu de place aux idéaux. Dix ans auparavant, d’ailleurs, ce jeune prêtre, Giulio (Nanni Moretti, le réalisateur du film lui-même)et sa bande d’amis romains vivaient des espérances révolutionnaires, prétendaient changer le monde par la Révolution, ce mot absurde et passe-partout où l’on met tout ce qu’on ne sait pas dire, à part sa rage et son feu intérieur. Après un ministère dans une jolie île rieuse du sud de l’Italie, Giulio est rappelé à Rome pour desservir une paroisse de la lointaine banlieue.
À cette occasion, il retrouve ses parents, ses amis de jeunesse. Les premiers, (Ferruccio De Ceresa et Margarita Lozano) paraissent être des gens de moyenne bourgeoisie, qui vivent dans les livres ; des gens plutôt de gauche, dirait-on, en tout cas loin de toute aspiration chrétienne. Il y a une sœur, Valentina (Enrica Maria Modugno), plus ou moins fiancée (ou même mariée, ce n’est pas clair) avec un ornithologue, Simeone (Mauro Fabretti) qui passe tout son temps à guetter des oiseaux en campant dans la montagne. La famille est aimante, mais n’est pas de celles où l’on se parle. On comprend mal qu’issu de cette sécheresse, Giulio ait choisi de devenir prêtre ; en tout cas on ne saisit pas son cheminement.
Peut-être parce qu’il a compris plus tôt que l’ancien mentor de la bande d’amis marxisants que la seule Révolution qui vaille est intérieure et spirituelle. Ce mentor, c’est Cesare (Roberto Vezzosi) qui convie tous ses amis et disciples pour leur annoncer la nouvelle : il va se convertir et demander le baptême. Les amis sont un peu interloqués, évidemment ; mais que peuvent-ils répondre devant la vacuité de leur propre vie ? Parmi eux, il y a Saverio (Marco Messeri) qui, après une rupture amoureuse s’est enfermé dans une sorte de rejet du monde, ne sort plus de chez lui, ne veut plus voir personne. Il y a Andrea (Vincenzo Salemme), incarcéré depuis cinq ans, soupçonné de terrorisme. Il y a Gianni (Dario Cantarelli), libraire souriant qui cache des vices honteux. Et d’autres encore. Mais personne sur qui puisse s’appuyer Giulio, finalement.
D’autant que la nouvelle paroisse ne va pas fort : rien que de normal, au demeurant. Si elle est délaissée par les fidèles de la bourgade, c’est que le précédent desservant, Antonio (Eugenio Masciari), s’est défroqué, a épousé une charmante jeune femme avec qui il a eu un bel enfant. Et paraît rayonner de bonheur. Vieille question du mariage des prêtres, pont-aux-ânes récurrent qui ne connaît pas, à mes yeux, de réponse satisfaisante, puisque des clercs ont été mariés jusqu’aux alentours de l’an Mil, en Occident et que beaucoup d’Églises orientales (mais rattachées à Rome) n’imposent pas le célibat.
Il n’en demeure pas moins que la sexualité est un souci pour Giulio, sexualité omniprésente dans ce qu’il rencontre. outre le bonheur charnel éclatant de son prédécesseur, il apprend que son vieux père est éperdument amoureux d’une jeune femme amie de sa sœur Valentina et va vivre avec elle et que Valentina, enceinte, désire avorter ; et puis les fiancés qu’il prépare au mariage posent des questions, des chansons offrent des tentations érogènes.
Pauvre prêtre mal à l’aise, d’un caractère difficile et quelquefois cassant qui connaît en plus des vicissitudes : agressé, sur la contestation d’une place de stationnement, par un père et ses trois fils, presque noyé dans une fontaine, menacé par des voyous violents qui lui mettent le couteau sous la gorge, la lourdeur de sa tâche finit par l’user. Heureusement une rencontre au confessionnal avec un Franciscain qui a passé vingt ans de sa vie dans la violence du vent du détroit de Magellan va lui ouvrir la porte de sa vocation particulière…
Rien de bien aventureux là-dedans : la vie quotidienne, banale, un peu grise, un peu lassante, sans grand horizon. Et au total un film attachant, fragile souvent et souvent mal fichu. Mais qui mérite d’être vu.