Ben voilà, c’est ça la vie d’aujourd’hui. Et quand j’écris ça, je dois me pincer pour me rappeler que le film date du siècle dernier, à son ultime versant, il est vrai : 1999. Mais moi qui suis du mitan de ce millénaire passé, je vois avec effarement combien la destruction voulue, systématique, intelligemment menée de toutes les traditions, les bornes, les limites et les valeurs d’antan, a donné. Et ce n’est pas joli, joli. Et ça produit des vies ravagées, sabotées, accablées ; tout ça grâce à des libertés dont peu profitent et qui, d’ailleurs donnent moins d’élans qu’elles ne retirent de force.
La vie de Camille (Karin Viard) est, à mes yeux du moins, un champ de ruines (mais j’attends de pied ferme ceux qui pensent le contraire et qui peuvent argumenter un peu là-dessus). Elle passe de main en main, de bitures à partouzes avec la même naïveté niaise qu’une Blanche-Neige qui, réveillée, attendrait le grand amour. Elle n’a que mépris pour le couple d’apparence idéale que forment son frère Émile (Laurent Lucas) et sa fragile femme Sophie (Valentine Vidal). Elle est maître-nageur dans une piscine banale, elle collectionne les numéros de téléphone de mecs facilement disponibles qui viennent la baiser vite-fait, bien-fait, avant d’aller s’ingurgiter leurs lignes de cocaïne ou d’autres choses.
Tout va bien : mon corps est à moi et c’est ma vie, que je mène comme je veux. Désastre. Se faire sauter à la va-vite dans un ascenseur puis remonter dans une partouze est un des arts les plus gracieux que je connaisse. Cela dit, à force de prendre des baffes, au propre et au figuré, être sauvée à peine par sa vieille copine de classe Louise (Mireille Roussel), homosexuelle assumée en couple avec Solveig (Nozha Khouadra), elle perçoit un tout petit peu que sa vie devrait ne pas être faite que de ça : se détruire consciencieusement.
Miracle inopiné : dans la rue, une rencontre où il se passe quelque chose : un type anonyme qui lui fait jeter à la poubelle le quintal d’anxiolytiques qu’elle transportait. C’est Alexis (Pierre-Loup Rajot), secrétaire de section du Parti socialiste du 12ème arrondissement (1999 : le temps où le P.S. existait ! c’est merveilleux, le cinéma !) et heureusement marié avec Isabelle (Catherine Frot). Boum-boum, Camille ressent d’emblée pour Alexis une passion à la fois charnelle et amoureuse. Pour le retrouver, elle renie les engagements gauchistes de sa jeunesse et participe aux réunions de section mesquines du parti. Il est bien évident pour quiconque qu’elle y va, qu’elle n’y va que pour rencontrer, admirer, fréquenter son idole. Qui se prend au jeu et, fier comme Artaban, l’introduit dans la calme allure de son ménage.
Mais il y a une logique des évidences, n’est-ce pas ? Malgré la suite des rencontres, celle qu’elle fait avec Ben (Sergi Lopez), qui pense trouver avec elle à la fois la femme de sa vie et la complice de ses pratiques érotiques. Pfttt ! Tout ça fonctionne sans fonctionner.
Que faire d’autre ? Se jeter directement sur Alexis, essayer de le forcer, de l’arracher à sa femme. Une femme qui, fine comme pas deux, a bien senti que quelque chose se passe et défend son bonheur. Mais rien n’y fait. Un peu trop abruptement, les deux héros se jettent l’un sur l’autre. La belle affaire ! Alexis aimerait ne pas y attacher plus d’importance que ça mais Camille est une goule, une mante-religieuse, une prédatrice exclusive qui ne supporte pas la moindre contrariété.
Donc la catastrophe, donc le désastre, donc l’explosion de tout ce qui existait ; la folle furieuse qui détruit tout, le couple de son amant, mais aussi celui de son frère ; et celui, que amère, déçue de tout, elle aura formé provisoirement avec Ben. Et ce sont les dernières images, après une ellipse temporelle. Alexis et Camille (enceinte jusqu’aux yeux) se retrouvent sur les hauts de Belleville : ils s’aiment toujours. Gnagnagna.