Et voilà qu’à un moment vers 1961, 1962, le grand, l’immense Roberto Rossellini quitte à peu près définitivement le cinéma des écrans, le cinéma qui lui a permis de réaliser d’étonnants et arides chefs-d’œuvre : Rome ville ouverte, Païsa, Allemagne année zéro, Stromboli, Europe 51. Ça ne l’intéresse plus, désormais. D’ailleurs, il n’a jamais aimé les acteurs. Et il est vrai qu’avoir vécu avec des personnalités comme Anna Magnani (la brûlante) et Ingrid Bergman (le feu sous la cendre) conduit à penser que les anonymes peuvent bien être suffisants pour un film que le réalisateur illuminera.
D’où la détermination du réalisateur de proposer désormais des films de nature pédagogique, presque scolaire, où les spectateurs recevront une sorte d’enseignement destiné à leur élévation intellectuelle. Toute la fin de vie de Rossellini s’est bâtie là-dessus, avec des téléfilms intelligents : Socrate, Blaise Pascal, Augustin d’Hippone, Descartes, etc. Selon l’auteur, la télévision était le vecteur idéal pour enseigner les grands noms, les grands moments de notre Humanité. Ambition qui apparaît aujourd’hui naïve, mais qui ne manquait pas d’être intéressante et d’un éclat certain.
Le premier tome de cette leçon était précisément La prise du pouvoir par Louis XIV. Moment décisif de l’histoire de France où après la guerre de Cent ans, les guerres de religion et les troubles de la Fronde, l’État créé par Philippe le Bel au 14ème siècle retrouve sa force. Cela grâce à une suite de puissants ministres, Richelieu et Mazarin et à la détermination du Grand Roi qui fera de la France la première puissance mondiale.
Sans l’intelligence et le caractère de Louis XIV, la France, de fait, aurait pu n’être qu’un aimable territoire ductile à toutes les aspirations et ouvert à toutes les ambitions étrangères. Le film de Rossellini, adapté d’un récit de l’historien Philippe Erlanger montre extrêmement bien comment c’est le caractère et l’ambition du monarque qui ont édifié un royaume solide et cohérent. Que peut-on reprocher à Louis XIV sinon d’avoir vécu vingt ans de trop et donc d’avoir alors été dépassé par le mouvement du siècle ?
Mais là nous sommes aux débuts, dans ces instants ou l’Histoire retient son souffle. Le jeune Roi – 22 ans – va perdre le plus exceptionnel de ses soutiens, ce cardinal Mazarin qui a tant aimé la France qu’il lui a légué, après les traités de Westphalie de 1648, cent ans de paix. Bien sûr il a prévariqué, il s’en est mis plein les poches et, quand il meurt, en 1661, il est la première fortune d’Europe. Quelle importance, puisqu’il a écarté du pays les ambitions espagnoles, impériales et qu’il laisse un trône assaini ? Les séquences qui représentent le Cardinal parvenu au bout de sa route sont d’une grande beauté.
Ne sont pas moindres en qualité celles qui représentent le Roi, alors tenu pour un jeune homme hédoniste, simplement voué aux plaisirs de la chasse, de la danse et des jolies femmes, prendre en main son destin. Mais comme il est dommage d’avoir choisi, pour représenter le Roi un théâtreux inconnu, Jean-Marie Patte qui ne donne de Louis XIV qu’une fausse image. Nabot sans talent dramatique, ce faux acteur pollue gravement le film. Louis XIV était grand, très grand pour l’époque même : 1,84 mètre. Comme le furent ses successeurs : Louis XVI atteignait 1,91 mètre. La médiocrité de la taille de Jean-Marie Patte rend assez ridicules les scènes où le Roi, qui a voulu faire en sorte que les courtisans, la noblesse dont il a eu si peur pendant la Fronde, suivent la mode chamarrée et coûteuse qu’il arbore et s’exhibe en habits hors de prix.
La prise de pouvoir par Louis XIV est, cela posé, une très belle leçon. Ceci malgré les protestations des grincheux habituels qui soutiennent qu’il manque un bouton à la vareuse des Gardes françaises ou qu’une scène où un dialogue important a été tourné n’est pas située exactement où elle devrait être. Le film présente, d’une façon peut-être un peu rugueuse, un peu engoncée, un peu trop didactique, un moment décisif de l’histoire de notre pays. Celui où le Roi se veut Soleil pour ses sujets, quels qu’ils soient, comme le Soleil donne chaleur et lumière au monde entier.
Merci à Roberto Rossellini d’en avoir aussi bien compris l’esprit.