Mais quelle nullité, quelle imposture, quel accablement ! Je ne vois rien, absolument rien à sauver dans cette Soupe au canard bien médiocrement préparée par Leo McCarey qui laisse pantois devant sa bêtise intrinsèque, son absence de tout ressort comique, par la moindre idée de mise en scène. Et qui recueille pourtant des hommages aussi déférents que ridicules des professionnels de la profession qui tiennent La soupe au canard pour le meilleur film de ces galopins de Marx brothers. Seigneur ! est-il possible de tenir ces trois (ou quatre) crétins pour le sommet de la production burlesque et de les encenser jusqu’à plus soif ?
Le burlesque est un genre difficile, personne ne dira le contraire. Il nécessite à la fois de l’allégresse, du goût du sarcasme, de la distance avec les choses, un sens grandiose de la démesure, un sens intelligent de l’outrance. Le rire de l’excessif, en quelque sorte, la moquerie de soi-même. Pour ne pas trop prêter à la critique facile qui m’imputerait mon goût fasciné pour le merveilleux film de Jean Loubignac, le chef-d’œuvre français du genre, c’est-à-dire Ah, les belles bacchantes, l’accomplissement le plus réussi de la troupe des Branquignols, je ne vais qu’évoquer un film étasunien qui met vraiment la pile à tout ce qu’on pu produire les quatre frères Marx : Hellzapoppin. Ah, oui, là, c’est vraiment une déconnade absolument grandiose, retenue par nulle barrière, pleine de ricanements, de clins d’œil au spectateur, de rires et de folies narquoises.
Mais dans cette pauvrette Soupe au canard, nommée ainsi sans pertinence, qu’est-ce qui peut bien attirer l’attention ? On est tout le temps au dessus du propos et on s’interroge à chaque seconde sur ce qui peut bien attirer l’attention. N’évoquons pas pas même le scénario qui n’a pas – et pourrait d’ailleurs n’avoir pas – la moindre importance : l’arrivée absurde au pouvoir dans la Principauté de Freedonie de Ruffus Firefly (Groucho Marx) qui, on ne sait pourquoi, a tapé dans l’œil de la richissime Mrs Teasdale (Margaret Dumont) qui, à elle seule, assure les fins de mois de cet État microscopique.
On a là passé les vingt premières minutes du film. Il reste près d’une heure à subir l’inutilité profonde du reste. On est presque gêné de relater la suite du récit ; d’ailleurs on ne va pas même s’y essayer : c’est d’une telle bêtise, d’une telle nullité qu’on ne peut qu’y renoncer. Après tout ce n’est pas vraiment grave : personne n’a jamais demandé à un film, pour être réussi, d’être rectiligne et cohérent. Mais encore faut-il qu’il illumine l’esprit par un je ne sais quoi de brillant, de spirituel, de splendide, au moins de drôle.
Rien de tout cela dans La soupe au canard, laborieux compendium des pitreries obligées des quatre frères Marx qui ont remporté, on ne sait trop comment, des succès considérables. Il est vrai que dans nos pays civilisés, nous n’avions pas trop à la ramener : Jean Richard, Darry Cowl, Pierre Richard ce n’était assurément pas mieux.
Quelle honte !