Détournons notre regard…
À écouter Jean-Baptiste Thoret, présentateur du film dans le supplément du DVD, spécialiste vraisemblable du cinéma bis des années 50 et 60, La souris qui rugissait est un film aussi profond que drôle, à la fois porteur de sens, prémonitoire et d’un comique dévastateur, dont il n’est pas absurde de penser qu’il a été une des sources d’inspiration de Stanley Kubrick pour Docteur Folamour. Diable ! Si on me disait que C’est arrivé à 36 chandelles a été la source de French cancan, je n’en serais désormais pas plus surpris que ça, voyant que les critiques professionnels ont une certaine capacité à trouver des liens aussi improbables que farfelus à tout et n’importe quoi.
Cela fait bien cinquante ans que j’attendais de regarder le film de Jack Arnold, séduit par le titre amusant, la présence au générique de Peter Sellers en triple ou quadruple rôle (à la manière d’Alec Guinness dans Noblesse oblige) et celle, beaucoup plus discrète, de Jean Seberg, qui tournait là son troisième film et dont on ne pouvait pas encore imaginer le navrant destin… Cinquante ans que j’attendais et que le pitch du film m’amusait : une micro principauté blottie dans les Alpes, bien plus petite que le Liechtenstein ou Saint-Marin et de langue et de coutumes britanniques, aux finances compromises, décide de déclarer la guerre aux États-Unis afin de bénéficier, après les évidentes défaite et capitulation, des larges aides et subventions habituellement attribuées aux puissances vaincues par l’Oncle Sam (évidente allusion au Plan Marshall et autres cocagnes venus d’Outre Atlantique).
Par une suite de hasards invraisemblables, la petite troupe du duché de Fenwick, vêtue comme l’étaient les archers d’Azincourt, dame le pion à la Puissance majuscule et s’empare, sans vraiment le vouloir, de la redoutable bombe Q (plus puissante que la bombe H !), de son inventeur, le professeur Alfred Kokintz (David Kossoff), de la fille d’icelui, Helen (Jean Seberg), d’un général empoté (Lionel Murton) et de quatre cops new-yorkais.On voit bien, dans l’outrance du propos, l’appel aux enseignements habituels du conte philosophique, riche terreau occidental à la Gulliver ou à la Candide. Et de fait il y a quelques variations pertinentes à la fin du film, dès lors que la microscopique Principauté devient, par la grâce de la possession de l’Arme absolue, l’Arbitre du monde, à qui il peut imposer dès lors une paix bienvenue.
Tout cela serait bien gentil, quoiqu’un peu niais, si le film ne manquait complètement de rythme et si l’humour à orientation nonsensique censé le porter ne peinait le plus souvent à aller un peu au delà de l’élémentaire. Sans doute la présentation, dans les dix premières minutes, du Duché de Fenwick n’est-elle pas désagréable : il y a un petit côté « Magicien d’Oz » dans l’exposition cocasse de la principauté, ses coutumes et ses pittoresques habitants ; et puis Peter Sellers, même livré à lui-même, est un spectacle à soi tout seul ; il a même quelques moments assez drôles sous son avatar de Grande Duchesse Gloriana XII, un peu moins sous celui de premier ministre, comte Rupert Mountjoy. Mais beaucoup moins en Tully Bascombe Maréchal des forces armées du Fenwick ; et malheureusement c’est dans ce dernier rôle qu’il est le plus présent à l’écran…
Tout ça est loin, très loin de suffire. On peut trouver un certain talent, fort marginal, dans le cinéma de quartier horrifique de Jack Arnold : L’étrange créature du Lac noir, Tarantula, L’homme qui rétrécit, registre restreint, point désagréable à l’amateur. Mais quand on veut aller un peu plus haut que son talent, on s’essouffle vite…