La strada

La route est grise.

Découvrir le cinéma de Federico Fellini avec La Strada; parce qu’on a alors 8 ou 12 ans, le retrouver vingt-cinq ans plus tard en DVD dans la médiocre retranscription française sabotée par l’affreux René Château ; faire cela un soir de mauvaise humeur ; et de cette façon en écrire un méchant avis assez puéril ; se le reprocher parce que l’on est un être scrupuleux et exigeant ; se dire que désormais; les années passées on a suffisamment exploré le continent fellinien et que, même si on ne lui a jamais trouvé les pics et les éminences qu’on aurait espéré y déceler, on peut l’avoir apprécié de plus en plus et aussi lui trouver, grâce à La dolce Vita ou à Et vogue le navire d’immenses qualités…

Revenir à La strada ; n’en n’être pas ébloui comme on l’espérait secrètement pouvoir l’être, mais en rehausser la place dans son Panthéon personnel ; se confirmer qu’on est toujours aussi exaspéré par la mélodie écrite par Nino Rota qui ne fut pourtant pas pour rien dans le succès public du film, qui en est un des fils conducteurs et sert même à sa conclusion.

Se dire que le coup de génie de Federico Fellini, c’est la distribution des rôles et que la seule possibilité que son récit pût fonctionner était bien d’employer de tels acteurs.

D’abord Anthony Quinn, au physique taillé à la hache qui pouvait, par la qualité de son jeu, se rendre aussi rustre, sauvage, violent, sommaire et esseulé que le personnage de Zampano exigeait qu’il fût. Il est vrai, pourtant, comme on l’a sagement remarqué, qu’il est un mystère complet : on comprend bien d’où est issue Gelsomina, la misère de cette Italie qui ne va connaître son miracle que peu à peu, on ne plonge pas dans le passé de Zampano, les claques reçues, l’abandon possible, l’enfance vécue comme un calvaire… Enfin, tout ça fait partie des hypothèses.

Puis Giulietta Masina, si fragile et si forte à la fois, si naïve et si profonde : merveilleux personnage créé sans doute par Fellini avec l’aide de sa femme. Sait-on qu’après une fausse couche en 1943, elle perdit son petit garçon qui n’avait que onze jours en 1945 et qu’elle ne put avoir d’autre enfant ? Voilà assez pour mettre dans un regard cette lueur distante, comme coupée du monde qui sera sa marque durant sa carrière. Gelsomina terrorisée et soumise, aimante et craintive, à peine éveillée, même émerveillée par la vitalité et le brio du Fou, le funambule (Richard Basehart) mais résignée aux saletés de la vie.

Les paysages de banlieues tristes et de terrains vagues, parfaitement désespérants, sont filmés sans complaisance et le climat de l’Italie exsangue d’après-guerre devrait nous parler davantage : je ne me souviens pas avoir vu représentée la France de l’époque dans cette même désolation ; ce qui m’y fait le plus songer, c’est l’Espagne du Luis Buñuel du début : Terre sans pain, par exemple ; presque le Tiers-Monde…

On peut tout de même reprocher à La strada un contenu trop vide et une anecdote à la fois mélodramatique et sans aspérités, presque niaise. Le scénario est répétitif, prévisible, quelquefois languissant ; il manque des personnages secondaires, des arrière-plans qui bâtissent la réalité : les gens du cirque, sur qui pouvaient être bâties de singulières péripéties sont oubliés sitôt qu’entrevus.Et puis voilà : Fellini qui, avec Le Cheik blanc, La StradaIl Bidone, Les nuits de Cabiria avait exploré avec talent les voies toujours douces-amères, pathétiques et comiques que seuls, ou presque les Italiens maîtrisent, s’est vu, à partir de La Dolce vita, décerner un brevet d’intellectuel et de phare de la pensée, pour passer la suite de sa carrière à souvent contempler un nombril qu’il avait à la fois démesuré et bizarre…

Mais j’ai déjà écrit que j’avais un problème avec cet immense réalisateur.


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