La vie miraculeuse de Thérèse Martin

Trop sage illustration.

Julien Duvivier n’est jamais passé pour un homme expansif. Je ne crois pas qu’il se soit jamais confié sur ses opinions politiques ou sur ses convictions religieuses, s’il en avait. Comment cela ? allez-vous me dire, Oubliez-vous qu’il a réalisé les deux premiers Don Camillo qui donnent la part (très) belle au curé de Brescello, qui roule copieusement le maire communiste et qui a une sorte de dialogue direct avec le Christ ?. Certes, certes, mais le personnage est directement issu d’une série d’histoires écrites par Giovanni Guareschi dont l’engagement chrétien était affirmé. Et par ailleurs, l’avant-dernier film de Duvivier, un truc à sketches moyennement réussi, Le diable et les dix commandements est nimbé d’un petit parfum d’anticléricalisme ; cela bien qu’il présente, dans une de ses séquences, une intelligente vulgarisation sur la question du Mal et la mise en perspective de l’insaisissable Plan de Dieu (je cite sans vergogne ma critique sur le film).

Surprise d’avoir donc eu l’occasion de découvrir une œuvre muette de 1929, La vie miraculeuse de Thérèse Martin consacrée à la vie de la petite Sainte Thérèse de Lisieux. En creusant un peu je m’aperçois que Julien Duvivier avait déjà réalisé plusieurs films à tonalité chrétienne, comme Credo ou la Tragédie de Lourdes en 1923 ou L’agonie de Jérusalem en 1927. Orientation religieuse ou opportunités de production ? Va savoir ! Cela étant, son premier film parlant en 1931 sera le remarquable David Golder en 1931, histoire d’un Juif adapté du livre d’une grande romancière juive, Irène Némirovsky.

Donc voilà un des premiers films sur la jeune fille morte à 24 ans, la petite Carmélite désormais instituée Docteur de l’Église. Lors du tournage du film, en 1929, la canonisation est toute proche (mai 1925) ; sans doute s’agit-il (aussi) de profiter de l’occasion et de présenter au public le récit historique de cette singulière courte vie.

Sur le plan factuel, le film est d’une parfaite honnêteté et même d’une grande rigueur dans le récit : en presque deux heures sont évoqués minutieusement tous les épisodes importants de la vie de Thérèse (Simone Bourday, insignifiante) et même un peu davantage : cela commence en 1843 par la démarche de Louis Martin (Lionel Salem), le futur père, auprès du monastère du Grand Saint Bernard, où il ne peut entrer car il ne connaît pas le latin. Puis on saute à 1858 et à la rencontre, sur un des ponts d’Alençon, de Louis et de Zélie Guérin. Tout cela est authentique. De cette union naîtront neuf enfants, dont quatre mourront en bas âge et dont les cinq filles entreront en religion : quatre au Carmel de Lisieux, une chez les Visitandines de Caen. Zélie Martin, atteinte d’un cancer du sein, disparaîtra en 1877 ; Thérèse a quatre ans et demi.

La famille est très pieuse. La deuxième des filles, Pauline, est la première à prendre le voile en 1882 ; l’aînée, Marie, la rejoindra en 1886. Et Thérèse brûlera très tôt de se consacrer à la vie cloîtrée.

J’arrête là cette partie historique ; ceux que ça intéresse ont tout loisir le très long et bien inspiré article de Wikipédia. J’en viens au film. Peu amateur de cinéma muet, je n’ai pas été rebuté par l’absence de dialogues, la partition de piano enregistrée lors de la restauration du film et les nombreux cartons apportant toute la lisibilité nécessaire. J’ai bien davantage été choqué par l’irruption de Satan (François Viguier) grimé et ridicule, doté de longues canines vampiriques lors des moments – réels – où Thérèse subit les crises de scrupules et de Nuit de la Foi ressenties avec douleur : le caractère grotesque du personnage ne donne pas la mesure des angoisses affrontées.

Surtout, et bien sûr, le film de Duvivier souffre de la comparaison avec l’insurpassable Thérèse d’Alain Cavalier de 1986 où passent une grâce, une légèreté, une hauteur de vue qui donnent, s’il est possible une intuition de l’énigme d’une vie de renoncement, d’obéissance, de froid, de faim, de silence, de clôture, tout cela librement consenti et surtout joyeusement accepté. Il y a chez Duvivier un regard quelquefois presque documentaire – la longue séquence de la prise d’habit en mai 1888 : Thérèse a quinze ans et trois mois – et une adaptation très respectueuse. Mais il n’y a aucune lumière sur le mystère.

C’est pourtant cela qui compte.

 

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