La Zone

Au pays des chiffoniers.

Georges Lacombe fut un honnête artisan du cinéma français, capable de films intéressants (Derrière la façade, La nuit est mon royaume) ou simplement plaisants (Café de Paris, Le dernier des six), mais il n’a jamais eu la capacité d’enchanter les images. Et, pour supporter les contraintes du Muet, il faut davantage que son petit talent.

La Zone a été réalisée en 1928 ; l’année suivante, Jean Vigo tournait À propos de Nice et Marcel Carné Nogent, Eldorado du dimanche, deux films du même esprit, deux moyens métrages parvenant à capter sans paroles deux mondes très différents alors, mais aujourd’hui également morts. Deux films bluffants, l’un que l’on peut découvrir dans le beau coffret contenant la (si courte) intégrale de Vigo, l’autre que je n’ai vu qu’une fois, lors d’une diffusion télévisée nocturne. Rien à voir, dans l’inventivité, l’originalité, le jaillissement, avec cette Zone assez banale, alors qu’elle montre une réalité fascinante.

Fascinante mais éternelle. En 1928, donc, au petit matin, des silhouettes hâves fouillent les poubelles, récupèrent métaux, papiers, tissus, outils abimés et vivent de leur revente. En 2013, tout le monde peut voir des silhouettes semblables se pencher sur les conteneurs du tri sélectif et récupérer ce qu’elles peuvent. Entretemps, en 1955, Robert Darène a réalisé Les chiffonniers d’Emmaüs sur les compagnons de l’Abbé Pierre. Disons que de 1960 à 1980 on a oublié un peu cette réalité de la misère noire. En France. Parce que les explorateurs des montagnes de déchets du Caire ou de Dacca n’ont jamais disparu.

Et ne disparaitront jamais, hélas ! Les enfants beaux et sales, crasseux jusqu’aux racines des ongles, les femmes déformées par la misère et les maternités, les hommes secs, rudes, violents et épuisés sont toujours là. Sur les talus du boulevard périphérique, dans les replis des échangeurs autoroutiers, on aperçoit de loin les mêmes visages…

Ce qui n’est pas mal, dans La zone, c’est cette sorte de résignation blême, de soumission à la fatalité, cette acceptation d’un destin insupportable par de pauvres gens qui paraissent voués, de toute éternité, à leur pauvre vie. Un sentiment de révolte suggéré, une protestation même sommaire contre leur condition transformerait en film militant et partial ce simple constat d’une des saletés de la condition humaine. Le constat froid, sans empathie aucune de Georges Lacombe a la sécheresse des bonnes études d’ethnographie. Il manque simplement un peu de talent.

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