Dans son unique réalisation, Henri Jeanson est plutôt meilleur, à mes yeux, que ne le fut jamais Michel Audiard, dont tous les films (à part, un peu, Comment réussir… quand on est con et pleurnichard) m’ont toujours plongé dans l’affliction et la gêne… Ce n’est pas que Lady Paname soit un bon film : l’anecdote est niaise et convenue, les idées de mise en scène totalement absentes et ça dure un quart d’heure de trop ; la fin est absolument ratée, oscillant, à parts inégales, entre drame, vaudeville et farce. Ça se répète avec un peu trop de complaisance, ça manque de rythme et ça souffre cruellement de la comparaison avec l’immense Quai des Orfèvres, à tout le moins pour ce qui peut en être comparé.
Reprendre Louis Jouvet et Suzy Delair trois ans après le chef-d’œuvre de Clouzot était une absolue gageure ; le moins qu’on puisse dire est qu’elle n’est pas relevée ; et pourtant, à mes yeux, ce n’est pas désagréable, pas du tout désagréable. Le petit monde qui gravite autour de la Porte Saint-Martin, traditionnel quartier des théâtres, si caricatural qu’il est décrit, est dépeint avec tendresse, complicité et chaleur.
Ces music-halls où de longues volutes de fumée (imagine-t-on, dans notre aujourd’hui moral qu’on a naguère pu fumer au théâtre ?) marquent un public prompt à applaudir, mais aussi à siffler, celui qui se risque à paraître sur scène, on ne les reverra jamais assez. Il y a des acrobates, des diseurs, des chanteurs réalistes, des comiques troupiers, des fantaisistes, des prestidigitateurs, des tas de gens dont les coulisses et les plateaux sont la vie.
Heureux fantômes du spectacle et de la scène, qu’on quitte avec regret, qu’on retrouve avec joie, dit quelque part Jouvet ; fascinant métier, à la précarité saisie sur le vif : c’est le meilleur de Lady Paname : les inquiétudes, les incertitudes, le succès qui vient, le succès qui fuit ; à certains moments, on n’est pas très loin de La fin du jour ; et malheureusement, Jeanson n’ose pas trop appuyer là où ça fait vraiment mal, et tourne en comédie plus ou moins graveleuse ce qui aurait pu être le récit de l’amertume et de la dèche ; pourtant Souplex, j’en suis sûr, y aurait été très bien, avec son laid et étrange visage…
Les dialogues sont brillants, nerveux, appropriés, mais n’ont pas beaucoup d’efficacité, à quelques exceptions près (Je crois à tout, ça n’engage à rien ! ou Si l’Homme n’avait que ce qu’il mérite, il vivrait dans un extrême dénuement.). Sans doute Jeanson a-t-il voulu mettre trop d’orientations et d’histoires dans le film : la bigamie de Bagnolet (Louis Jouvet) nanti de sa respectable épouse (Jane Marken) et de sa jeune amie, Oseille (Véra Norman), les fréquentations douteuses de Marcel (Pierre Trabaud), l’histoire amoureuse de Caprice (Suzy Delair) et de Jeff (Henri Guisol, absolument catastrophique) ; c’est trop, c’est haché, ça part dans tous les sens…
Enfin, cela dit, ça se laisse regarder avec intérêt. Ça vient de paraître dans la collection Gaumont à la demande qui n’offre ni versions restaurées, ni suppléments ; un peu comme René Château ! Triste, mais comment espérer revoir, sinon, des films marquants, sinon importants, du cinéma français ?