L’âge d’or

La vache sur le canapé.

Voilà ; on se replace en 1930. Les années folles s’achèvent et bientôt les remugles de la crise étasunienne vont empuantir la terre. Luis Buñuel, qui est avant tout un grand malin, a saisi avant beaucoup que le monde est clivé entre ceux qui ne se consolent pas de la disparition de la société d‘avant (1914) et ceux qui veulent passer à autre chose, fût-ce en concluant, en profanant, en méprisant tout ce qui avait donné un minimum d’équilibre à la société. En juin 1929, il a proposé au petit groupe qui se baptise ‘’surréaliste’’ un court métrage (21 minutes) très singulier, Un chien andalou qui met en scène les rêves de son complice Salvador Dali et les siens propres.

En 1930, la liberté règne, même si des tas de gens ne supportent pas qu’elle s’exprime. Il faut comprendre : il y a eu 1,5 million de morts, des millions de blessés. Ceux qui sont revenus chez eux avec une jambe ou un bras en moins, aveugles, sourds, la gueule fragmentée n’apprécient pas tellement qu’on se fiche d’eux parce qu’ils souffrent la mort de leur vie. Mais on peut comprendre aussi que ceux qui ont eu la chance d’échapper à la boucherie, parce qu’ils étaient trop jeunes ou placés miraculeusement dans de bons endroits, ne veulent plus entendre parler de la géhenne.Tout le monde a ses raisons, comme le dit Jean Renoir dans son assez médiocre Règle du jeu. En tout cas, en 1930, on peut tout faire : cracher sur n’importe qui, n’importe quoi. On n’imagine plus désormais combien cette liberté pouvait être choquante, même scandaleuse. Aujourd’hui quelqu’un qui se moque des gros, des moches, des infirmes, des gens de toute couleur, des homo-, bi-, a-sexuels se voit vite assigné par le Camp du Bien devant le Tribunal de la Pensée.

En 1930, on ose tout. On a envie de choquer, d’écœurer, de mépriser. On me dira que s’attaquer à la religion, au cléricalisme, au militarisme, à la fidélité conjugale, à un paquet de choses est bien moins grave que s’attaquer à de pauvres gens qui ne peuvent rien à être ce qu’ils sont.En tout cas, Buñuel trouve des mécènes : Charles et Marie-Laure de Noailles, grands aristocrates très fortunés qui se veulent à la pointe de la modernité. Il y aura toujours des gens singuliers qui ont de la volupté à danser sur un volcan. Au fait, le couple Noailles est particulièrement bien restitué dans Au plaisir de Dieu, le grand roman de Jean d’Ormesson, en la personne de Pierre, petit-fils du vieux Duc de Plessis-Vaudreuil et de sa femme Ursula. Dans l’adaptation télévisée, réalisée par Robert Mazoyer, ils sont interprétés par Marc Michel et Heidi Stroh.

Je m’aperçois que je n’ai pas encore dit un mot du film. J’y viens, mais ce sera court. Parce que, au delà du succès de scandale et des billevesées de l’écriture automatique, il n’y a tout de même pas grand-chose dans L’âge d’or, moins en tout cas que dans Un chien andalou.

Si ce n’est peut-être la séquence où l’amante, saisie de frustration et de volupté suce en regardant son amant s’éloigner, les orteils d’une haute statue. Selon Wikipédia, l’histoire de L’âge d’or est celle de la communion totale mais éphémère de deux amants que séparent les conventions familiales et sociales et les interdits sexuels et religieux. Ma foi ! Depuis le temps que les vertueux contempteurs de ces conventions et de ces interdits bataillent contre l’État, la famille, la religion, les traditions, je n’ai pas tellement l’impression que la vie des couples soit faite de miel et de lait, si l’on en croit le chiffre des divorces et celui des familles monoparentales. Mais c’est bien connu : il vaut mieux mettre les insuffisances personnelles sur le dos de la méchante Société.

Donc, il y a des scorpions qui se battent, mais c’est moins spectaculaire que dans La horde sauvage de Peckinpah, il y a une conclusion sur les 120 journées de Sodome du Marquis de Sade (mais beaucoup moins intelligente que dans Salo de Pasolini). Il y a une volonté de profanation qui s’apparente à celle de galopins satanistes ricaneurs. Il y a des trucs farfelus, incompréhensibles, ennuyeux.En fait il n’y a rien, sinon la volonté de choquer le bourgeois. Heureusement Bunuel allait vite quitter ces momeries. Il réalisera en Espagne, en 1933, le magnifique Terre sans pain, puis entamera un parcours mexicain pendant 15 ans avant de revenir dans la vieille Europe achever une puissante carrière.

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