L’âge heureux

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Tendres et niais petits rats

À l’heure du hip-hop et de la techtonik, la vision de L’âge heureux constitue une plongée abyssale et involontairement presque comique dans le monde extraordinairement suranné, compassé, du ballet classique, tel qu’il existait en 1966, et tel qu’il existe encore, voué à sa propre perpétuation, figé qu’il est dans un monde improbable que rien ne paraît atteindre.

Ce feuilleton en quatre épisodes eut un grand succès lors de sa diffusion à la télévision, réunissant quelques ingrédients toujours efficaces : le goût immodéré et saugrenu qu’avaient, et ont encore peut-être, toutes les petites filles et leurs mamans pour les tutus et les chaussons, la présence d’étoiles de la danse d’alors, quelques solides seconds rôles (Pierre Mondy, Louis Velle, Françoise Rosay), le retour à l’écran, dans un rôle sage, d’Odette Joyeux, loin de ses personnages d’Entrée des artistes et de Douce qui en avaient fait la jeune première la plus peste de toute l’histoire du cinéma français, une histoire mignonnette où les gentils, après avoir eu bien peur, triomphent à la fin et où le courage, la loyauté, la franche camaraderie sont récompensés.

À dire le vrai, tout ça ne vaut pas tripette : l’histoire est idiote, la musique de Georges Auric parvient à être insignifiante, les acteurs sont extrêmement mauvais (à part Mondy et Rosay, sans doute), les dialogues (d’Odette Joyeux elle-même, à qui l’on doit aussi le scénario) sont gnangnan à souhait, et la petite Delphine Desyeux avait certes un frais minois, mais des yeux pâles aussi vides que ceux de la perverse petite Catherine des Risques du métier du balourd André Cayatte, qu’elle joua l’année suivante, en face de Jacques Brel.

Et puis, dût ma vieille adulation pour Odette Joyeux en pâtir, outre qu’elle ne joue pas toujours très juste, elle ne se positionne pas très bien… Née en 1914, elle a, au moment du feuilleton, 52 ans et, dans le récit, elle file le parfait amour avec Louis Velle, qui a douze ans de moins… Même si ses yeux immenses et son grand air étonné l’ont toujours rajeuni (dans Douce en 1943, à 29 ans, elle interprète impeccablement une jeune fille qui n’a pas 18 ans), là, ça commence à faire un peu trop (je sais : ce que j’écris n’est pas très élégant, mais la véracité m’y oblige !).

Et pourtant ce feuilleton ne manque tout de même pas d’intérêt, vraiment, si on prend cette bluette pour une sorte de documentaire, une exploration du monde mystérieux de l’Opéra (le seul : Garnier, Bastille étant, selon un mot célèbre, une mauvaise réponse à un problème qui ne se posait pas) : les salles de répétition, les classes, les couloirs infinis, les toits à perte de vue (qui jouent d’ailleurs un fort grand rôle dans le déroulement de l’intrigue).

Et puis, sur le seul point de vue ethnographique, la vie quasi-monacale de ces gamines toutes vouées à l’espérance souvent folle de devenir étoile, et qui torturent leurs corps pré-pubères (je ne suis pas sûr, d’ailleurs, que notre époque morale et prompte à voir des pédophiles partout oserait glisser si complaisamment la caméra sur ces anatomies chétives), le petit monde des habilleuses, des maîtresses, des intendantes, des surveillantes, monde fait de celles qui ont beaucoup espéré et guère réussi…

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