Charmante fantasmagorie
Avant-guerre, le fécond romancier Pierre Véry s’était fait une spécialité d’histoires mystérieuses qui, à un moment donné, peuvent frôler le déroutant ou l’inquiétant. Histoires qui se résolvent, finalement, dans un habile tour de passe-passe, par la résolution de quiproquos et la levée d’ambiguïtés et de méprises qui laissent la place à un bonhomme happy end, ou à un sourire narquois. Cela a donné au moins un presque chef-d’œuvre, Goupi mains rouges, de Jacques Becker, mais aussi trois excellents films, Les anciens de Saint-Loup, de Georges Lampin et Les disparus de Saint-Agil et L’assassinat du Père Noël, de Christian-Jaque.
Il y a de la féerie dans les deux romans adaptés par Christian-Jaque : féerie de l’adolescence rêveuse qui s’invente sociétés secrètes et projets de départ lointains, au milieu de complots de faux-monnayeurs guère méchants, dans Les disparus de Saint-Agil, féerie des villages isolés par la neige, mais où vivent pêle-mêle un châtelain suspecté d’être atteint de lèpre (Raymond Rouleau), un instituteur anticlérical (ce qui est hautement pléonastique ! – Robert Le Vigan), une folle qui cherche son chat, et qui s’appelle la Mère Michel (Marie-Hélène Dasté), Cornusse, un marchand de mappemondes qui se déguise en Père Noël pour le plaisir des enfants (Harry Baur) et sa fille, Catherine (Renée Faure), gourde amoureuse du châtelain prétendument lépreux.
On voit par là qu’on nage en plein réalisme !
Ajoutez à cela que Raymond Rouleau est encore pire que dans l’excellent Falbalas (de Jacques Becker) dans le genre crétin agité et bellâtre doté d’une tête à claques, que je persiste à poursuivre de mes sarcasmes Renée Faure, à qui Christian-Jaque a fait tenir des rôles de pure jeune fille, où elle est à peu près aussi crédible qu’Isabelle Adjani le serait en Mère Thénardier des Misérables et que ce qu’elle a raté sept ans après, dans La chartreuse de Parme (où elle incarne Clélia Conti !), il n’y avait aucune raison, malgré un âge plus tendre, qu’elle le réussît dans L’assassinat du Père Noël.
Et pourtant, ce film-là a un charme fou, qui n’est pas dû qu’à la présence si dense d’Harry Baur, à l’œil impertinent de Robert Le Vigan, à l’épaisseur que Fernand Ledoux (le Maire du village) donne à tous ses rôles. Aussi, sans doute à une atmosphère totalement irréelle, hors du monde, à une fantasmagorie poétique, où la neige joue le premier rôle. Si j’osais (allez, j’ose !) je risquerais la comparaison avec l’admirable, déroutant et tragique Roi sans divertissement de François Leterrier, d’après (et avec le concours de) Jean Giono : ce qui est chez ici tragédie profonde devient là drame bourgeois qui se termine bien, sans doute, mais chez l’un et l’autre, il y a cette neige omniprésente, qui fait perdre repères et sens de la réalité.
Finalement, comme dans Les disparus de Saint-Agil, on se fout de l’intrigue, on se fout de l’histoire, qui n’est plus qu’anecdote, on ne conserve en tête que l’étrange talent qu’a Pierre Véry de monter des ambiances aussi invraisemblables que mémorables…