Charmant divertissement
On ne peut pas ne pas faire le rapprochement d’évidence avec Le gentleman d’Epsom, sorti dix-huit mois plus tard et qui, me semble-t-il, demeure un peu davantage dans les mémoires. Dans l’un et l’autre film, un vieux viveur de grande allure, qui a brûlé la chandelle par les deux bouts, a été aimé par les plus jolies femmes, a dépensé des fortunes, a soutenu des banco de folie, guidé par le seul goût du jeu et du plaisir, se retrouve à un moment fragile de sa vie, à une heure où, qu’il s’illusionne ou non, l’existence va devenir de plus en plus lourde.
Voilà qui pourrait donner de merveilleux développements tragiques ; et je gage que s’ils avaient été transalpins et portés par la vague de la comédie italienne, Gilles Grangier (Epsom) et Jean Delannoy (L’écluse) auraient pu tourner un de ces films poignants et drôles, qui font basculer en un instant du rire aux larmes.
Mais ça n’était pas la mode en France au début des sixties ; tout y était tourné vers le confort mental du spectateur du samedi soir, qui ne voyait dans la dèche orgueilleuse de Richard Briand-Charmeray et du baron Jérôme Anthoine qu’une occasion de s’esclaffer aux bons mots et aux dialogues étincelants de Michel Audiard.
Il est vrai qu’il ne les a pas ménagés et que Le baron de l’écluse vaut essentiellement pour eux : c’est un florilège, un feu d’artifice, une symphonie ! Peu limité par un récit assez mince, une anecdote minimale, Audiard fait exploser les mots, les phrases, les formules, comme d’habitude plus profonds qu’il n’y paraît. Ça illumine, ça scintille, ça éblouit, ça émerveille. Et, presque trente ans après la mort du dialoguiste, on se demande qui pourrait reprendre cette veine, cette verve, ce talent, hérités de Vauvenargues et de Chamfort.
Foin des regrets ! On se laisse faire avec tout de même pas mal de plaisir parmi les viveurs de Deauville puis sur le canal latéral à la Marne au gré des péripéties (minimales) vécues par le baron Anthoine (Jean Gabin, d’évidence) et Perle Germain-Joubert (Micheline Presle, bien jolie, comme toujours). Et on se dit aussi qu’il y a certaines actrices qui semblent porter en elles tous les regrets du monde, des vies parcimonieuses, étriquées, minimales et que Blanchette Brunoy est de celles-là, comme Renée Faure, Monique Mélinand ou Renée Devillers.
Jean Gabin habite ce personnage d’aristo dans la dèche, voué aux expédients et à la débrouille avec un particulier bonheur : il en a la classe, la familiarité spontanée avec les petites gens, le sens de la distance et du maintien. Et Jean Desailly est touchant de nigauderie.
Je le répète : on ne fait qu’effleurer la tristesse, pour passer à autre chose. Mais ce n’est tout de même pas mal du tout.