Le baron fantôme

Fantaisiste.

J’ai un peu de mal à me faire une opinion sur ce film assez étrange qui allie des atmosphères oniriques absolument délicieuses, un scénario souvent drôle et, en même temps, des nunucheries insupportables. On sent là l’intervention de ce funambule talentueux et vain de Jean Cocteau, doté de trop de dons pour qu’on se rappelle vraiment l’un d’entre eux, qui a signé les dialogues, a vraisemblablement influencé le récit de Serge de Poligny et qui, grimé, interprète en roulant les yeux et en faisant le terrible, le rôle du baron fantôme (en fait somnambule). Époque rêveuse et fantasmagorique en quelque sorte.

movie_callout_image 1La distribution est aussi assez surprenante. À côté de vieux routiers d’expérience et de talent (Gabrielle Dorziat, André Lefaur, Aimé Clariond, la glougloutante et délicieuse Marguerite Pierry, qu’on ne voit pas assez), les têtes d’affiche sont d’intérêt varié : si Jany Holt est excellente, comme souvent (Les bas-fonds, L’alibi), je regrette que la fragile beauté d’Odette Joyeux ne soit pas davantage mise en valeur ; et comme j’ai une dent contre Alain Cuny, que je n’ai jamais vu supportable que dans le rôle d’un pirate pervers dans Satyricon, je me suis agacé de voir à tout bout de champ sa haute taille et son masque guindé envahir mon écran.

Scénario drôle, disais-je… En 1826 arrivent, dans le sombre et désolé château de Carol la comtesse de Saint-Hélye qui vient de se retrouver veuve, sa fille Elfy (Odette Joyeux) et sa sœur de lait, Anne (Jany Holt). Un vieux serviteur apprend à la comtesse que le baron a disparu ; pis : sa fortune est introuvable. Dix ans après, les jeunes filles qui ont grandi dans la nature en compagnie d’Hervé (Alain Cuny), prétendument neveu du vieux serviteur, sont en âge de se marier… Un jeune officier de cavalerie, Albéric de Marignac (Claude Sainval) courtise Elfy.

movie_callout_imageParallèlement la bonne société de la contrée fait des courbettes à un faux Louis XVII (André Lefaur), prétendument échappé de la prison du Temple, sous l’influence d’un évêque intrigant et nullement dupe de l’imposture (Aimé Clariond). Les interférences entre les deux groupes, la découverte impromptue du trésor dissimulé par le baron Carol, les songeries et illusions des jeunes filles, le retour du faux Dauphin à son ancien état de braconnier forment un ensemble assez amusant et enlevé.

Poligny montre un talent certain dans la mise en valeur de paysages fantastiques (ce qui donne envie de voir son film suivant, La fiancée des ténèbres) et l’arrivée de la comtesse au château, dans un paysage de fin d’automne désolée, nourrie d’angles obliques, de contre-plongées originales est une belle réussite ; comme les vieilles salles du château sont très photogéniques et que les forêts profondes, les souterrains, les portes grinçantes massives, les vastes étendues du ciel balayées par des vents furieux font partie de la grammaire élémentaire du fantastique, on se prend assez agréablement au jeu.

Ceci malgré les réserves émises ci-dessus et notamment la question existentielle qui me ronge : comment une femme normale peut-elle tomber amoureuse d’Alain Cuny ?

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