À l’heure où l’on apprend que l’excellent Bruce Willis est entré dans la nuit d’une maladie dégénérative, une nuit dont on espère pour lui qu’elle ne sera pas trop longue, on est fondé à songer à ce qu’on écrira dans sa nécrologie. À mes yeux le cinéma conservera l’image de ce flic courageux et inusable qu’ont exalté Piège de cristal (1988), 58 minutes pour vivre (1990), Une journée en enfer (1995). Et peut-être Retour en enfer (2007), que je n’ai pas vu. Mais la saga de John McClane qui met en valeur un personnage de héros pas très malin mais prêt à tout pour défendre, en grognant, les belles et bonnes choses du monde est bien ancrée dans nos têtes.
Je suis à peu près certain – mais il n’est pas impossible que je puisse me tromper – que personne n’évoquera, au rang des grandes interprétations de Willis le rôle de Korben Dallas, l’homme à tout faire du Cinquième élément. Dieu sait pourtant si le film de Luc Besson, qui était alors à la mode, après Le grand bleu, Nikita ou Léon, a rencontré des succès et même des fascinations. Assez médiocre jugement critique mais immense succès public, notamment à l’étranger, pour un film qui, à dire le vrai, n’a rien de français.
Après avoir écrit cela, je me rétracte ; non, plutôt, je m’interroge : metteur en scène et concepteur, Luc Besson, donc. Mais aussi Éric Serra à la musique, Thierry Arbogast à la photographie, Jean-Paul Gaultier aux costumes et plein d’hommages appuyés (parfois contestés) à Jean-Claude Mézières et Pierre Christin ou à Jean Giraud (Moebius). Mais tout cela est la partie technique, les acteurs venant tous d’Outre-Atlantique. Je m’empresse de dire que ce n’est évidemment pas rédhibitoire, mais que c’est un cinéma mondialisé que l’on va voir.
Et cela avec une idéologie infantile, une histoire ridicule, un méli-mélo qui va chercher n’importe où, n’importe quand, n’importe comment une trame sophistiquée, souvent idiote, d’ailleurs. Créer un monde, un paradigme, une structure, une cohérence et se prétendre pour autant faire du cinéma de série A (par rapport à la série B ou à la série Z, qui ne manquent d’ailleurs pas pour autant de qualités), créer un monde, ce n’est pas à la portée de chacun.
Il me semble que, dans le domaine du film mâtiné de science-fiction, je n’ai jamais rien regardé de plus idiot, de plus bêtifiant, de plus accablant que Le cinquième élément. Le récit n’a ni structure, ni profondeur, ni intelligence. Ou plutôt ne fait qu’effleurer des bases qui ne sont pas absurdes, l’existence d’un Mal dont la puissance pourrait anéantir l’Univers et la lutte d’extra-terrestres et d’humains pour en venir à bout. Tel que présenté, ça peut même être assez exaltant. Et puis ? Et puis rien du tout ! Une collection d’images – certaines spectaculaires – qui s’agglomèrent sans pertinence ni continuité. Surtout aucune épaisseur : quels que soient les personnages, ils ne sont que surface, apparence, inutilité. Le Mal, et ses séides, comme Zorg (Gary Oldman) est traité, sont traités par dessous la manche, comme le serait une équipe de football antagoniste ; pas la moindre exploration des raisons, des buts, des dévouements, des espérances. C’est d’un manichéisme si primitif qu’on a peu honte de regarder cette sorte de Guerre des boutons.
Bien sûr, bien sûr, il y a d’énormes moyens, des effets spéciaux bien tournés, des acteurs qui font ce qu’ils peuvent. Et des clins d’œil à foison qui au milieu d’un film qui se voudrait, à certains moments, d’angoisse, sont là pour rassurer, détendre l’atmosphère et correspondre à l’idéologie woke déjà présente il y a vingt ans, comme cet abominable et ridicule travesti Ruby Rhod (Chris Tucker), comme la soumission presque femelle des Pouvoirs publics au Président Lindberg (Tommy Lister) – évidemment noir – de l’Union. Et tant d’autres choses…