Je ne cache pas que c’est avec une certaine émotion que j’ai glissé dans mon lecteur le DVD du Congrès des belles-mères.
C’était en effet la première fois (mais aussi peut-être la dernière) que j’avais l’occasion de contempler une œuvre d’Émile Couzinet, Titan de la réalisation franchouillarde, immortel auteur, entre autres joyeusetés, de Trois vieilles filles en folie et de Mon curé champion du régiment, tenu pour beaucoup pour le mètre-étalon et l’épicentre de la ringardise cinématographique.
Eh bien cette faramineuse réputation ne m’a en rien déçu et j’ai passé un bon moment à m’effarer avec délices qu’on ait eu le culot de tourner ça, c’est-à-dire rien, c’est-à-dire un film sans queue ni tête mais qui, ne se prenant pas une seconde au sérieux, dégage tout de même une sacrée dose de bonne humeur et de vitalité. Pour autant je ne me permettrais pas de recommander Le congrès des belles-mères à quiconque : il faut, pour apprécier ça, être à la fois nostalgique et tordu, ce qui est précisément mon cas.
Tourné dans Les studios de la Côte d’Argent à Bordeaux, le film est bricolé avec trois francs, six sous ; la distribution est malingre et roublarde : notoriété de Pierre Larquey, de Jeanne Fusier-Gir à un degré moindre – et de deux silhouettes excentriques, Maximilienne – la vraie jeune fille de L’Assassin habite au 21 – et de Raymond Cordy – qui fut vedette au tout début des années Trente, mais jouait depuis lors les rondeurs satisfaites.
Et puis c’est tout ; après ceux-là, qui n’ont jamais, d’ailleurs, été des étoiles de grande magnitude, c’est le désert et qui s’enorgueillit, comme votre serviteur, de posséder quelques lumières sur les seconds rôles et les troisièmes couteaux des nanars des années Cinquante est bien obligé d’admettre que les noms de Jacqueline Selva, de Nadia Landry ou de Georges Rollin lui sont inconnus.
Mais ça ne fait rien, parce qu’à ce degré-là de culot, plus rien n’a d’importance. Surtout pas l’intrigue…
Surtout pas l’intrigue ? Quoique… après tout…
Dans un paisible village aquitain, la baronne de Courtebise (Jeanne Fusier-Gir), ancienne cuisinière devenue châtelaine et enrichie par son mariage avec feu le baron, a créé un groupe agressivement féministe sur qui elle règne avec autorité et dont la martiale devise est Ève avant tout !. Mais si elle règne sans partage sur les dames de la bonne société, à la maison, son gendre (Georges Rollin) entend être le viril maître du logis ; dans d’autres maisons de la bourgade, en revanche, les hommes filent doux, notamment chez la redoutable Simone Max qui, en sus de faire trimer matin et soir son mari et son gendre leur inflige, dès qu’ils paraissent se rebiffer, de redoutables prises de judo.
Pour essayer de rejoindre cet idéal d’amazones, toutes les aigres pimbêches du canton sont réunies en congrès par la baronne de Courtebise et décident de présenter une liste aux proches élections pour bouter le Premier magistrat (Pierre Larquey) hors de sa Mairie et mettre fin à la séculaire Loi du Mâle.
Le film est le récit de cette entreprise aussi démesurée que désespérée, qui se termine néanmoins par une paix qui ressemble surtout à un armistice (la baronne épouse le maire). Tout rentre apparemment dans l’ordre.
On voit là le caractère accablant de l’intrigue, farcie d’outrances, d’invraisemblances, d’outrecuidances et de stéréotypes : mais c’est justement ça qui est bien ! Le gynécée féministe est plein de trognes pittoresques et hideuses, propres à dégoutter tout esprit normal de l’amour, les jeunes amoureux poursuivis par la vindicte de la baronne sont charmants et les hommes, qui se retrouvent régulièrement au bistro sont pleins de bon sens, de verve et d’astuce. La charge misogyne est assez lourde, mais pas méchante pour un sou…
De temps en temps les protagonistes interrompent le cours normal du récit et, selon le cas et la situation, gazouillent une chanson d’amour ou entonnent un hymne électoral, tel celui des belles-mères :
Ah, les belles-mères, les belles-mères
C’est la bonté, c’est la pureté !
On a beau leur faire des misères,
Elles n’disent rien, elles font tout bien !
Car pour prêcher l’amour, pour embellir les jours,
Des belles-mères y’en aura toujours !
Ce à quoi répondent les hommes :
Ah, les belles-mères, les belles-mères
C’est des poisons, c’est des faux-jetons !
Elles sont la cause de nos misères,
On le sait bien, on n’y peut rien !
Car comme les puces les rats et puis le choléra,
Des belles-mères toujours y’aura !
Et tout ça est du grand Vincent Scotto, le papa de 4000 chansons, l’auteur de l’immortel Plus beau tango du monde (c’est celui que j’ai dansé dans vos bras) et du non moins notoire Sous les ponts de Paris (lorsque descend la nuit…).
Voilà. Il y a des dialogues à la limite du salace, des acteurs qui surjouent mais qui font leur boulot, un rythme enlevé, un parfum d’échalotes et de Dubonnet qui sent la vraie province et le souvenir d’un monde absolument disparu.