Célébration des temps morts.
Voilà un film intelligent et magnifiquement réalisé où l’intérêt tient moins au suspense du hold-up, pourtant bien rythmé et très réussi, qu’à ce qui se passe avant lui et – un peu – après. Un film où la présentation des personnages, les rapports violents qu’ils entretiennent et, surtout, l’attente, exaspérante, énervante, angoissante du coup sont primordiaux. De fait, je ne crois pas qu’on ait réussi aussi exactement à décrire les heures qui n’en finissent pas de s’écouler avant le moment de l’action qu’en filmant les trois personnages, Slater (Robert Ryan), Ingram (Harry Belafonte) et Burke (Ed Begley) qui essayent de tromper le temps, chacun de son côté, en guettant le moment où ils vont aller cambrioler la banque.
Le scénario n’est d’ailleurs pas d’une extraordinaire originalité et le casse n’a pas la confondante ingéniosité de certains des cambriolages mémorables que le cinéma dispense à foison depuis des décennies (de Du rififi chez les hommes à Mélodie en sous-sol en passant par L’ultime razzia) ; le sujet n’est pas là, de toute évidence dans l’esprit de Robert Wise.
L’est-il, comme on l’a dit, dans la pulsion antagonique qui oppose Slater et Ingram, le premier méprisant les Noirs, le second détestant les Blancs ? C’est possible, même si, d’après le supplément du DVD, dans le roman dont le film est adapté, les deux hommes, poursuivis par la police, finissaient par s’entendre et à s’entraider. Mais il me semble qu’avant cela, c’est leur situation de loosers perpétuels qui plombe les trois complices, aucun d’entre eux n’étant vraiment persuadé de la réussite du cambriolage ni ne le vivant avec la fièvre presque orgasmique que les vrais malfrats éprouvent.
Tous sont en effet des laissés pour compte des États-Unis prospères de la fin des années 50. Tous sont, d’une façon évidente, des ratés de l’existence, aussi bien dans le désastre de leur vie affective que dans leur lutte quotidienne pour gagner assez de dollars pour surnager. On n’a peut-être pas assez souligné combien Slater et Ingram sont dans des impasses médiocres vis-à-vis de leurs compagnes, Lorry (Shelley Winters) et Ruth (Kim Hamilton) qui tentent, chacune à leur manière, de les rattacher au monde réel et n’y parviennent pas.
Robert Wise met en scène tout cela avec un immense talent ; presque tous les plans sont filmés de manière décentrée, la plupart, d’ailleurs en contre-plongée, avec une virtuosité impeccable. Le Noir et Blanc est superbe et culmine dans les scènes finales, dans ce qui doit être une usine à gaz, ou plutôt un dépôt d’essence, plein de tubulures compliquées et de réservoirs gigantesques inhumains où s’affrontent mortellement Slater et Ingram, le Blanc et le Noir qui se font mutuellement exploser en se tirant dessus.
À noter que le DVD présente un intéressant supplément où Danièle Grivet et Roland Lacourbe, spécialistes de l’œuvre de Robert Wise présentent intelligemment un réalisateur protéiforme trop négligé.