D’après ce que je lis, le scénario du Criminel a été nommé aux Oscars de 1947. Voilà qui prouve, s’il en était besoin, que ces célébrations, où la profession se retrouve et s’autocongratule, n’ont absolument aucune autre importance que médiatique. Qu’elles ne sont, en tout cas, jamais gage de qualité ou de profondeur. Car c’est assurément le scénario qui plombe gravement le film de commande d’Orson Welles et le ravale au rang d’une production plutôt banale. Production à peine sauvée par la qualité de la distribution – Welles en premier lieu, mais aussi Edward G. Robinson et la très jolie Loretta Young -.
Le criminel ne parvient pas à se départir de sa période de tournage et des obsessions de l’actualité d’alors. Sorti le 2 juillet 1946, soit à peine plus d’un an après l’écrasement de l’Allemagne, le film est empli d’une double angoisse : celle de voir échapper les criminels de guerre (voir aussi Les maudits de René Clément en 1947) et celle que, d’une façon que l’on n’imagine pas mais que l’on craint d’autant plus, la puissance abominable du nazisme ne soit pas morte.
Après tout, on peut admettre, mais le film est trop plein d’ellipses et d’invraisemblances pour qu’on en soit satisfait. L’extrême début est plutôt bien amené quoiqu’il soit mal exploité : la quête furtive, inquiète, incertaine de Konrad Meinike (Konstantin Shayne) dans on ne sait quel coin d’Amérique latine où l’on sait que se sont réfugiés beaucoup de criminels. On apprendra ensuite que Meinike a été pendant la guerre l’adjoint du chef d’un camp d’extermination, Franz Kindler (Orson Welles) qui a pu se réfugier aux États-Unis, dans le Connecticut et y devenir un respectable professeur sous le nom de Charles Rankin.
Jusque-là ça fonctionne à peu près, même si la reconversion de Kindler/Rankin, qui va épouser Mary Longstreet (Loretta Young), fille d’un juge à la Cour suprême peut sembler un peu trop rapide et réussie. Ça se gâte lorsque Meinike reprend contact avec son ancien chef. Ah ! Il faut dire que l’adjoint a pu s’échapper d’on ne sait quelle prison étasunienne que grâce à la complaisance de l’inspecteur Wilson (Edward G. Robinson) qui pense, à juste titre, que l’homme le conduira à Kindler. Ce qui commence à vraiment patiner c’est que Meinike dit désormais avoir été touché par la Grâce divine et entend appeler Kindler à la contrition chrétienne. Kindler qui se soucie fort peu de sa rédemption ne manque pas d’étrangler son ancien complice.
Pendant ce temps, dans le cadre restreint de la petite ville de Harper, l’inspecteur Wilson est parvenu à s’intégrer avec une facilité inouïe dans la bonne société locale et à être invité à déjeuner par le juge Longstreet (Philip Merivale), qui vient donc de devenir le beau-père de Kindler. Déjeuner où l’ancien Nazi se dévoile involontairement en prononçant un panégyrique de l’Allemagne et en assénant que Karl Marx ne pouvait pas être allemand… puisqu’il était juif.
Dès lors l’inspecteur Wilson entreprend de faire tomber la façade respectable de Kindler/Rankin, surtout auprès de sa femme Mary, qui en est très amoureuse. Je rassure tout le monde : ça se termine au mieux des canons de la morale, malgré des péripéties trop cavalcadantes.
Bien sûr, le film émane du cerveau génial d’Orson Welles qui le filme avec un talent impeccable : ombres et lumières, noir et blanc somptueux, prises de vue inquiétantes, surprenantes ou magnifiques, plongées et contre-plongées… Toute la grammaire cinématographique portée à son plus beau niveau.
Mais ça ne suffit pas. Curieux, non ?