Cédant à un absurde scrupule de vérification, j’ai acquis pour quelques petits sous Le Décaméron et me le suis projeté, espérant absurdement revenir sur le jugement que j’avais formé à la sortie du film, qui était médiocre et n’avait pas besoin de confirmation, tant il avait été étayé, jadis, par la vision des deux autres volets de la Trilogie de la vie, Les contes de Canterbury et Les mille et une nuits.
On ne devrait pas forcer sa nature ; dès les jours heureux de mes Humanités, j’avais été particulièrement agacé par Rabelais et n’avais pas compris qu’on pût apprécier les outrances d’un auteur si éloigné du génie français, qui est de mesure et de retenue. Des tentatives de lire l‘Heptaméron ou les Cent nouvelles nouvelles m’avaient tout autant rebuté ; plus tard, au temps où je dévorais tout Balzac, je m’étais tordu le nez sur les Contes drôlatiques et, après Mai 68, quand on a trouvé Sade en édition de poche, je n’ai pu aller plus loin que les vingt premières pages des 120 journées de Sodome (qui sont l’origine de Salo).
Vous mélangez tout ! va-t-on me dire ; certes, mais ces recueils de récits libertins ont trop de caractéristiques communes pour que mon ennui soit fortuit. Le film de Pasolini, qui n’est pas bien vigoureux, ni révolutionnaire (vraiment rien à voir avec Salo) dispense un ennui profond ; heureusement le cinéaste s’est limité à adapter dix des nouvelles du compendium de Boccace, qui en compte cent, tant les anecdotes sont battues et rebattues. Ce ne sont que moines paillards et nonnes hystériques, curés débauchés et maris trompés, femmes gaillardes et jouvencelles en chaleur, damoiseaux vigoureux et marchands rapaces.
Si, à l’époque, j’avais été un peu surpris de voir à l’écran les mentules masculines bien davantage que les corps féminins, c’est que j’ignorais l’homosexualité de Pasolini ; ça m’aurait sans doute alors dérangé, mais moins que son goût prononcé pour la crasse et la sanie qui a conduit cet intellectuel raffiné à de curieuses extrémités. Un seul exemple dans Le Décaméron ? La première histoire relate l’aventure d’un malheureux coq de village happé par une ravissante intrigante qui l’invite à coucher dans sa maison. Pris de coliques, il se précipite aux latrines qui ont été piégées pour son usage et se trouve immergé dans l’ordure, devant alors abandonner tout son argent et ses vêtements. On voit la finesse du propos et je crois encore entendre les rires gras des spectateurs de la salle de cinéma où j’étais allé voir le film… Tout est à l’avenant, ou presque : ça trucule, ça trucule…
Il y a pourtant quelques bons côtés dans ce film lent et ennuyeux : quelques trognes amusantes, mais surtout des décors, sans doute naturels, absolument parfaits qui donnent une image exacte de ce que pouvaient être les villes italiennes du quatorzième siècle, juxtaposition de ruines antiques, de venelles médiévales, de maisons patriciennes entrant déjà en Renaissance… Comme l’Angleterre de la même époque ne me semble, elle, présenter aucun attrait architectural et que l’Arabie est trop loin de mes références culturelles, je m’abstiendrai de revoir les deux autres volets de la Trilogie.