Le dernier des Six

Clouzot se fait la main

Le dernier des six est signé du très honnête artisan Georges Lacombe, auteur notamment du méconnu et intéressant Derrière la façade, mais ce qui retient d’emblée l’attention, c’est le nom du scénariste et dialoguiste, Henri-Georges Clouzot qui a adapté un roman policier whodunit de Stanislas-André Steeman.

Clouzot se fait les dents : un an plus tard, sur la base d’un roman du même Steeman, il réalisera L’assassin habite au 21, petit chef-d’œuvre sarcastique où sont mis en scène les mêmes personnages, le flegmatique commissaire Wenceslas Voroboïtchik, Commissaire Wens, et son amie, la mélodieuse et hystérique Mila Malou. Comme on va retrouver dans les deux films les mêmes acteurs, Pierre Fresnay et Suzy Delair et que l’énigme policière est aussi habile ici que là, la comparaison est aisée.

Et elle n’est pas du tout à l’avantage du film de Lacombe, qui est pourtant fantaisiste et agréable, doté d’excellents dialogues et de scènes bien tournées ; les acteurs sont loin d’y être mauvais, ou mal dirigés ; si je ne supporte guère Jean Chevrier qui a tout l’air d’une sculpture en faux marbre (en fait en saindoux), André Luguet est excellent, Jean Tissier trop bref et bien moins inquiétant qu’en Lalah-Poor de L’assassin est néanmoins comme toujours inoubliable et on retrouve ici et là des visages connus à qui on fait un clin d’œil (Maupi, le chauffeur du ferry-boat d’Escartefigue, ou Paul Demange).

Qu’est-ce qui fait que ça ne marche qu’à demi, alors ? Sans doute parce que l’atmosphère farfelue et pourtant lourde , angoissante de la pension de famille de l’avenue Junot (toujours L’assassin !) est si extraordinaire que le phalanstère où vivent les six jeunes gens du Dernier en pâlit. Il y a aussi beaucoup moins de rythme, de densité et les personnages sont moins caractérisés, moins bizarres, moins violents, plus abrupts, plus grossiers.

Les histoires de disparition graduelle de protagonistes reliés entre eux par des secrets partagés, des promesses anciennes, des crimes non révélés ou des intérêts communs doivent être aussi vieilles que le roman policier… Dix petits nègres, Les cinq gentlemen maudits (Duvivier) (et, pendant que j’y suis, une des plus prenantes aventures de Tintin, Les sept boules de cristal !) ; on se complaît dans le mystère, on est égaré sur de fausses pistes, on croit saisir le bon bout de la raison, et, naturellement, on est décontenancé par l’ingéniosité de la solution. Ça fonctionne toujours bien et Le dernier des six ne fait pas exception à la règle, même si le dévoilement est un tout petit peu plus prévisible que dans d’autres récits.

A noter pour l’anecdote, des scènes de cabaret très déshabillées, sous prétexte artistique, et un enlisement dans un immonde cloaque souterrain qui n’est pas mal du tout.


Leave a Reply