Dispersés façon puzzle.
Ce cinéma de genre – et d’un genre bien particulier et tout à fait crado, j’en conviens – semble être né de la vogue des curieux documents, surgis au début des années soixante et qu’on appelait les Mondo. Ces films mêlaient des images de toute nature, réelles ou mises en scène dont la raison d’être était de choquer, voire de scandaliser, sous le vertueux prétexte de montrer aux spectateurs ébahis beautés, singularités et horreurs de notre pauvre planète, en mixant habilement les sujets. Avec une hypocrisie et un aplomb qui ne seraient plus tolérés aujourd’hui, ils étaient d’une roublardise sans nom, mais aussi d’une grande efficacité.
Ils ont eu en tout cas un réel succès puisque après Mondo cane et Mondo cane 2, il y a eu Africa addio et toute une kyrielle de sequels, comme on dirait maintenant. Au moins dans les premiers films, réalisés par Gualtiero Jacopetti et mis en musique par Riz Ortolani, ça ne manquait pas d’intérêt, tout au moins pour ceux qui apprécient, comme moi, Lautréamont et jugent belle la rencontre fortuite sur une table de dissection d’une machine à coudre et d’un parapluie. Je me permets d’ailleurs de renvoyer ceux qui ont le malheur de me lire à ce que j’ai écrit là-dessus.
La recette s’épuisant, mais les cendres demeurant vivaces (si je puis dire), un autre malin, Ruggero Deodato, une bonne douzaine d’années plus tard, s’empara de la formule en la transformant en document ethnographique et, pour son premier opus prétendit reconstituer une aventure réellement survenue à un petit groupe de malheureux échoués au cœur d’une jungle impénétrable, du côté des Philippines.
La vertu devant toujours toucher de son doigt sévère ces choses que l’on montre en faisant mine de s’en indigner, il y a une histoire de prospection pétrolière qui permet de froncer les sourcils devant la détestable manie occidentale du lucre et de la prospection, mais avouons que Deodato n’a pas vraiment forcé là-dessus.
Il n’a d’ailleurs pas tellement forcé non plus sur le scénario, d’une simplicité minimale : de quatre, le groupe passe rapidement à deux, puis à un seul membre, capturé par une tribu primitive, promis à quelques innommables avanies, parvenant à s’évader en emmenant avec lui la seule femelle présentable de la tribu (et à vrai dire, plus que présentable : elle s’appelle Me Me Lai), la séduisant en la violant, retrouvant un autre naufragé et parvenant après bien des vicissitudes à quitter cette terre de sauvages (avec lui, mais sans elle, boulottée par une ethnie différente).
C’est assez décevant, en fin de compte et à déconseiller aux âmes sensibles et aux amis des animaux qui risqueraient de s’horrifier de diverses images un peu pétillantes de serpents engloutissant tout crus lézard ou chauve-souris et surtout d’une séquence d’un naturel bluffant : le dépeçage d’un crocodile encore bien vivant. Les tortures infligées aux requins, la décapitation rituelle des taureaux dans Mondo cane sont, à côté de ça, d’aimables plaisanteries.
Mais ce dépeçage fera sans doute songer aux amateurs du genre (s’il y en a) une manipulation du même type infligée à une tortue dans ce qui restera le chef-d’œuvre de Ruggero Deodato, le mythique et glaçant Cannibal holocaust, à tous égards bien plus intéressant que Le dernier monde cannibale, qui n’en est qu’une médiocre ébauche.