Guitry survitaminé
Titanesques combats et affrontements herculéens que ceux auxquels se livrent à propos de Sacha Guitry, jugés par de mauvais bougres un faiseur léger jusqu’à l’insignifiance, doté de trop de talents pour en exprimer vraiment un et moi-même et ses autres thuriféraires, qui tenons au contraire le Maître de l’avenue Élysée Reclus pour un des très grands enchanteurs du siècle passé, et un modèle d’inventivité et d’allégresse dans le cinéma français.
Ces choses étant dites, et pour prévenir les sarcasmes des méprisants je leur lance une amicale monition : « Vous qui n’aimez pas Guitry, même si, touchés par je ne sais quelle grâce vous avez décidé de réviser honnêtement vos points de vue iconoclastes, surtout ne dépensez pas un kopeck à acquérir ce film et une minute de votre précieux temps à le regarder ! »
Parce que, dans ce Diable boiteux très honnêtement édité par MK2, Guitry s’en donne à cœur joie, ne retient jamais sa verve, et – je suppose – peut exaspérer ceux qui n’apprécient pas ce cinéma pseudo-historique, parsemé de mots d’auteur, fait d’une vision en perspective de l’Histoire, toute d’ellipses et de raccourcis lumineux, sans doute quelquefois parcellaire ou injuste, mais si brillant !
Et dans ce film-là, c’est en quelque sorte un Guitry survitaminé qui s’exprime, puisqu’à son propre esprit, il adjoint celui de l’Homme d’État qu’il admire entre tous, Charles-Maurice de Talleyrand-Périgord. Et qu’il n’omet aucun des mots qui ont fait l’admiration de l’Europe avant de faire la nôtre, de Tout ce qui est excessif est insignifiant à Un ministère qu’on soutient est un ministère qui tombe en passant, parmi cent autres, évoquant Chateaubriand, par Il croit qu’il devient sourd parce qu’il n’entend plus parler de lui. On voit là le florilège !
Mais ça n’est évidemment pas tout : on a voulu voir – et on n’a sans doute pas eu tort – dans ce film tourné en 1948, un plaidoyer pro domo de Guitry, injustement accusé de collaboration à la Libération, incarcéré plusieurs mois, et finalement lavé de tout soupçon, parce que la seule conviction politique qu’il ait jamais eu, c’est un immense amour pour la France. Et dans la figure d’un Talleyrand qui a servi le pays sous tous les régimes, se plaçant toujours dans l’optique de l’intérêt ou du salut national, il se retrouve et se justifie, pensant que les formes de gouvernement d’un pays sont affaires de circonstance, de hasard, de mode ou de conjoncture, mais que rien n’est plus important que de suivre, fût-ce en paraissant louvoyer, la ligne claire de la sauvegarde de ce pays. Quelques années plus tard, dans le plus chatoyant Si Versailles m’était conté, il reprendra ce thème : la France n’est pas dépendante des régimes qui se succèdent.
C’est donc moins pour son habileté manœuvrière, ni même pour sa ductilité que Talleyrand apparaît un modèle, mais bien plutôt parce qu’il n’a pas varié dans le seul chemin qui vaille. C’est du moins la thèse de Guitry. Laissons des historiens plus qualifiés en débattre. Et revoyons ce film drôle et profond.