Le Filmeur

Limites d’un genre.

Je me demande pourquoi je mets la note médiane de 3 ; pour qui cherche le divertissement, ça vaut 0, et même moins et je doute que, dans cette optique, on n’abandonne pas le film en route ; pour qui apprécie l’expérimentation, c’est sans doute ce qui se fait de mieux, jamais abscons, ni abstrait mais toujours surprenant.

Sachant de quoi il s’agissait – dix années de la vie du réalisateur tournées avec une seule caméra vidéo, sans musique, ni acteurs, sans autre histoire que des tranches de vie mises en valeur – je ne m’attendais pas à autre chose ; mais s’il ne s’était pas agi d’un film d’Alain Cavalier, je ne m’y serais sûrement pas jeté. D’autant que, pour faire bonne mesure, je me suis projeté, dans cette longue après-midi pluvieuse du Lundi de Pentecôte deux autres œuvres autobiographiques du réalisateur, réunies avec Le filmeur dans un coffret La rencontre et Ce répondeur ne prend pas de message, beaucoup plus tordues.

Cavalier, c’est un parcours cinématographique d’une rare originalité ; d’abord deux films rares, jamais édités en DVD, je crois, Le combat dans l’île et L’insoumis (1962 et 1964) qui regardent la guerre d’Algérie du côté des vaincus, sans pour autant, bien sûr, approuver la folie d’apocalypse de l’O.A.S.. Et puis La chamade, la meilleure adaptation de Françoise Sagan qui se puisse. Puis des films un peu étranges. Puis un chef-d’œuvre : Thérèse, la vie miraculeuse et folle de Sainte Thérèse de Lisieux. Et à nouveau des expériences.

Cavalier ne se définit d’ailleurs plus comme un cinéaste, mais comme un filmeur : un type qui, grâce à la souplesse, à la légèreté de la caméra vidéo peut attraper au vol un rien : un insecte, un rayon de soleil, une goutte de pluie, une lumière particulière sur le corps de la femme qu’il aime, un quai de gare, les visages de ses vieux parents qui meurent ou vont mourir, des plages vides, des plâtres qui s’effritent, de beaux objets, des objets moches, des pierres et des bijoux. Des riens du tout, des riens qui font la vie de tous les jours. Il dit qu’il a commencé son film parce qu’il devait subir une greffe de chair, autour du nez, parce qu’il avait de sales cellules cancéreuses. Il a filmé ça ; et des tas d’autres choses, qui font le quotidien des vies de chacun.

C’est à la fois très étrange, et très familier ; c’est notre vie captée par une caméra à l’œil intelligent ; il y a plein d’histoires qui se devinent, qui ne sont qu’effleurées dans le film, mais qui ouvrent la porte à nos imaginaires ; il y a un sens du cadrage et du détail qui fait songer aux peintres des 17ème et 18ème siècles, hollandais (Rembrandt) ou français (Chardin), par sa précision et son goût des couleurs.

Il y a un film lent, ennuyeux si l’on veut. Fascinant au fur et à mesure qu’on y entre. Mais à ne pas recommander à tous.

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