Gabin – Troisième époque/1ère
Jean Gabin n’est plus le beau mec d’avant-guerre, clef des cœurs marqué par la poisse de cette chienne de vie et par la duplicité des femmes, incarné de Pépé le Moko à Gueule d’amour, ni ce type fatigué, usé par trop d’émotions et de trahisons des potes qu’il joue dans Touchez pas au grisbi ou Voici le temps des assassins. Il est vieux, désormais – parce qu’en 1964, quand on a soixante ans, on est vieux -, il regarde derrière lui, il descend la pente ; d’ailleurs est-ce que ceci ne pourrait pas avoir été écrit par Michel Audiard, alors que c’est extrait de Bel-Ami de Maupassant ? La vie est une côte. Tant qu’on monte, on regarde le sommet, on se sent heureux, mais dès qu’on arrive en haut, on aperçoit tout d’un coup la descente, et la fin, qui est la mort. Ça va lentement quand on monte, mais ça va vite quand on descend.
Richard Briand-Charmery a été quelque chose ; il a vécu, aimé, rayonné ; il a claqué un fric fou, pour des idiotes qui ne valaient rien mais devant qui il voulait puérilement et élégamment briller ; il a risqué des bancos insensés à Monte Carlo, joué des sommes folles à Ascot ou à Saratoga ; il a toujours su que le luxe n’est pas une question d’argent ; il n’a jamais été parcimonieux ; il a jadis, comme Cyrano, toujours privilégié la posture à l’efficacité ; il n’est plus rien, aujourd’hui, et surtout pas Cyrano ; il a ravalé son orgueil, il est réduit à traficoter aux courses, à duper des parvenus qu’il méprise, à subsister comme il peut au milieu de types qu’il roule et qu’il abuse. Il s’en fiche ; il porte beau, il tient à une chose : ne pas couler.
Le gentleman d’Epsom, évidemment, c’est un film rigolo, plein de Jean Lefebvre, de Franck Villard (le grand con du Cave se rebiffe : Si la connerie se mesurait, il servirait de mètre-étalon, il serait à Sèvres), de Louis de Funès ; c’est un film drôle, piquant, acide, un de ces films qui ravissaient les salles tranquilles de la France prospère, au grand dépit des petits marquis de la Nouvelle Vague ; c’est un film où l’on s’amuse à voir roulés les avides de dollars et qui – très, trop moralement ! – distribue équitablement les déceptions : finalement, tout ce fric est assez indécent ; on voit par là que nous sommes en plein gaullisme (est-ce qu’aujourd’hui on peut comprendre cela ?).
Mais le plus beau de ce film agréable, c’est la très charmante histoire, le moment très gracieux et très émouvant des retrouvailles de Briand-Charmery et de cette Maud (Madeleine Robinson, absolument ravissante) avec qui, jadis ou naguère une aventure s’est nouée, qui n’a pas duré, parce qu’elle n’était pas dans la nature des choses et dans le caractère de ses acteurs, mais qui était tendre et élégante. Toutes les séquences où l’on voit Briand-Charmery se préparer pour la soirée, corriger sa chemise effilochée, repasser les formules de ses chèques non approvisionnés, claquer un fric fou au cabaret russe, glissant les quelques billets qui lui restent sous les cordes des violons tziganes pour jouer à être encore quelqu’un, aux yeux d’une compagne qui n’est pas dupe, mais joue à l’être, toutes ces séquences sont extraordinairement réussies.
Tout cela est traité en comédie, souvent réussie, d’ailleurs ; mais on n’est pas très loin du pathétique de la dèche, du déclassement, de la déchéance… Ce bon film aurait presque pu être un grand film…