Le gouffre aux chimères

La belle saison.

Ce n’est pas vraiment que Charles Tatum (Kirk Douglas) soit un mauvais type ; ce n’est pas vraiment non plus qu’il soit un brave type. Avant tout c’est un mec qui veut arriver à quelque chose et qui est prêt à beaucoup pour parvenir à ses fins. On se demande d’ailleurs ce qui le pousse à ça et c’est sans doute une des faiblesses du film de Billy Wilder que de nous laisser demeurer interrogatifs sur le fin fond de la personnalité de ce journaliste qui a du talent mais qui a été à peu près rejeté par toute la profession. Glandeur, dragueur, buveur bien sûr, mais comme beaucoup le sont. Avant tout, il me semble, persuadé qu’il peut rejoindre les sommets et qu’il lui suffirait de tomber sur une belle histoire, un coup de chance, une bonne martingale pour recevoir le prix Pulitzer. Ce n’est pas le goût du plaisir, l’appât de l’argent, ni même la fierté d’être lu qui le font vibrer : c’est autre chose, sans doute la volonté de tenir en haleine, au rythme de ses articles toute une opinion publique. On peut comprendre cela.

D’autant que c’est vrai, le type est un bon journaliste. Il sait écrire, tenir en haleine son lecteur, construire un récit, en soutenir les péripéties le temps qu’il faut pour que le tirage du quotidien augmente de jour en jour. Mais Tatum est également tissé de défauts : imbu de sa personne, colérique, arrogant, méprisant ses confrères, violent. Et puis il court les filles (saute même la femme d’un de ses patrons) et boit beaucoup trop. Ce qui fait qu’il a été mis à la porte de tous les grands quotidiens où il travaillait.

Lorsque commence le film de Billy Wilder, il vient d’arriver à Albuquerque, au Nouveau Mexique et il se fait engager au flan, par son brio et son énergie dans un tout petit journal, le Sun, dirigé par un brave homme honnête, Jacob Boot (Porter Hall), dont la devise fièrement placardée sur des tableaux brodés au petit point par la vieille fille Miss Deverich (Edith Evanson) et affichée sur les murs de la salle de rédaction est Dire la vérité !.Évidemment Tatum s’ennuie à cent sous l’heure dans ce bled où rien ne se passe jamais de fascinant, capable d’intéresser le public. Jusqu’à ce qu’il soit envoyé couvrir, en compagnie du jeune photographe Herbie (Robert Arthur) couvrir à quelques dizaines de kilomètres de là une bizarre chasse aux crotales. Sur le chemin, dans une station d’essence, les deux hommes apprennent que le propriétaire du site navajo voisin, Léo Minosa (Richard Benedict) est bloqué par l’effondrement d’une galerie de mine qui recèle des tombes anciennes où il a coutume d’aller chercher les poteries qu’il vend aux rares touristes.

Si le père (John Berkes) et la mère (Frances Dominguez) du pauvre homme sont effondrés, ça ne paraît pas être tout à fait le cas de Lorraine (Jan Sterling) la femme de Léo, dégotée par son mari dans on ne sait quel saloon trouble et crasseux. Cela étant, Tatum comprend bien vite qu’il y a un scoop à faire valoir, surtout si l’incident du type enseveli parvient à durer un temps suffisant pour capter l’attention du voisinage, puis de l’État du Nouveau Mexique, puis de tous les États-Unis. Il n’est donc pas question qu’on libère trop vite de sa gangue le pauvre malheureux Léo.

Comment faire ? S’appuyer sur le corrompu shérif Gus Kretzer (Ray Teal), dont la réélection est douteuse et, en s’acoquinant ainsi, empêcher la curiosité de tous ceux qui voudraient mettre leur nez dans l’affaire. Et puis faire monter la tension, avec des articles de plus en plus sensationnels. Et compter sur la curiosité du populo pour les drames : il suffit de voir les agglutinements devant les maisons de l’horreur ou les embouteillages que créent les accidents de la route.

Ce qui m’empêche de mettre une note encore meilleure au Gouffre aux chimères, c’est plutôt l’absence de mesure de Wilder qui se moque un peu du monde. Bientôt ce sont les États-Unis tout entiers qui vibrent à chaque épisode des travaux de libération ; c’est trop. Et la fin du film, trop romanesque, mélodramatique, tragique est excessive, aussi. On a bien compris très vite que l’histoire s’achèverait dans la catastrophe, il n’était pas nécessaire d’en ajouter.C’est le problème des films étasuniens : la grandiloquence. Les Italiens nous ont montré ce qu’est le vrai drame : revoir la sécheresse de la fin du Fanfaron.

 

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