Des gloses passionnantes et savantes ont été déposées sur ce fil par les connaisseurs de ce genre particulier du cinéma qu’est le western. Des gens qui maîtrisent leur sujet, ont une liste de références impeccable et s’escriment avec talent avec des arguments de haute tenue. Le malheur, à mes yeux, c’est que les points de vue sont tour à tour absolument convaincants et rigoureusement opposés et que, in fine, je suis totalement incapable de me ranger à une position plutôt qu’à une autre ; il est vrai que dans les multiples catégories du cinéma de genre, le western est une de celles qui me sont le plus étrangères, alors même que toute mon enfance j’ai ingurgité des dizaines et des dizaines de films de Peaux-rouges pittoresques et de garçons vachers taciturnes. Rares sont ceux qui ont surnagé dans ma mémoire, à part La prisonnière du désert et les œuvres de Sam Peckinpah.
Cela dit, j’ai été ébloui, quand je l’ai découvert, par il était une fois dans l’Ouest ; pour une fois, le western me semblait quitter le simplisme niais et parvenir à se calquer sur une vraie tragédie, à la mesure de l’Antique ; mais les autres films de Sergio Leone ne m’ont pas semblé avoir cette complexité de ton et de personnages. La saga des dollars (Pour une poignée de dollars et tutti quanti) revenait sur un récit pesant et simpliste avec le seul apport des angles de prise de vue originaux et des barbes qui crissent en gros plan.
Averti du goût que beaucoup ici portent au Grand silence, je m’étais promis d’essayer de découvrir le film de Sergio Corbucci ; comme je l’ai trouvé par hasard pour deux kopecks (trois maravédis) il y a quelques jours dans un supermarché, je me suis précipité dessus…
Qu’en dire, de mon point de vue estropié ? Que ce n’est pas mal du tout, même si je ne mets que 4, et si mon 4 est plus proche encore de 3,5. L’histoire est extrêmement niaise, mais sa banalité est rachetée par sa sauvagerie. Il m’amuserait que quelqu’un ait fait le compte des zigouillés qui ponctuent le film : c’est sûrement un palmarès des plus instructifs : ça défouraille à tout va, et dès que deux personnages sont face à face, il est exceptionnel que l’un d’entre eux ne reçoive pas, dans la minute qui suit, une balle bien appliquée et décisive.
Et puis, il y a beaucoup de sang, de sadisme autour d’un brasero où visage et main sont calcinés, de crasse, d’armes étranges, de dégaines et de défroques (l’étrange voile protège-nuque de Tigrero – Klaus Kinski – les pelures protectrices de tous les acteurs), de cruautés multiformes, de situations baroques (les cadavres abattus hissés par des cordages sur le toit de la diligence). Merveille, ça ne se termine pas bien, mais au contraire les personnages positifs sont vilainement abattus sans états d’âme, juste avant les malheureux prisonniers, massacrés avec une certaine volupté.
Car, à la fin, c’est le Mal qui gagne, ce qui n’est pas si fréquent que ça au cinéma, alors même que c’est plutôt la règle dans la vie. Heureusement Corbucci n’a pas cédé aux sirènes de bienpensance et a filmé la seule suite logique qui se pouvait concevoir : que vouliez-vous que Silence (admirable rôle de Trintignant, dont la voix si chaude n’est pas du tout utilisée), que vouliez-vous que Silence, donc, pût faire contre la camarilla de tueurs qu’il affrontait, sinon qu’il mourût, les armes à la main et la femme qu’il aime dans les bras ? Rien que de logique !
Film plaisant, région glaçante ; on songe tout de même un peu à Il était une fois dans l’Ouest, à ses retours en arrière et à ses histoires d’enfances abimées. Y’a pas à dire : si on ne les nettoie pas tous, ils reviennent comme un reproche, les enfants marqués…