Le hasard

Le battement d’aile d’un papillon.

Exercice de style habile, jeu intellectuel séduisant qui consiste à imaginer des orientations finales extrêmement différentes selon que, à la suite d’un hasard infime, la vie d’un personnage prend un tour inattendu. Voilà ce qu’est le film de Krzysztof Kieslowski qui m’a d’abord ennuyé, puis agacé mais qui a fini par m’intéresser grâce à une intelligence profonde des situations et au regard cohérent posé sur le déroulement des histoires. Et sans doute aussi à la méditation qu’il impose sur l’existence de chacun : si, certain jour de ma vie, j’avais tourné à droite plutôt qu’à gauche, ma vie en aurait-elle été transformée alors que je n’aurais pas, alors, croisé telle personne ou subi tel événement dont je vois bien que j’ai été transformé ?

Il doit exister beaucoup d’autres exemples de films à dérivations multiples (je ne trouve pas de meilleure expression) mais je n’ai guère en tête que le funambulesque et fort ennuyeux Smoking/No Smoking du bavard abscons Alain ResnaisPierre Arditi et Sabine Azéma vivaient, à partir de prémisses simples (fumer une cigarette ou faire le ménage dans la maison) des aventures emberlificotées, marqueteries ennuyeuses, chichiteuses, très vaines.

Le film se passe dans la terne Pologne. Il a été tourné en 1981, c’est-à-dire au moment où le peuple polonais commençait à secouer l’étouffoir communiste (naissance de Solidarnosc – Lech Walesa), étouffoir qui se défendait plutôt vigoureusement (accession au pouvoir du vigoureux général Wojciech Jaruzelski). Un des intérêts du film est précisément de montrer avec un éclairage froid, sombre, ennuyeux ce qui devait être la vie quotidienne du pays. Laideur des rues austères, des macadams dévastés, des vêtements minables. Le communisme dans toute sa splendeur.

Witek Dlugosz (Boguslaw Linda), issu de la classe moyenne supérieure, a engagé, à la forte demande de son père, des études de médecine qu’il n’a guère envie de poursuivre alors qu’il est déjà en quatrième année. Son père meurt. Pour une raison que je n’ai pas comprise (car le début du film est assez elliptique), après la dissection assez repoussante d’une vieille institutrice, il s’enfuit vers la gare de Lodz, où il habite, pour partir à Varsovie.

Que se passe-t-il lorsqu’on est en retard dans une gare ? On parvient à attraper un train, on le rate en bousculant un employé, on le rate et on se résigne ? Rien de tout cela n’est invraisemblable. Et de tout cela surgissent des destinées diverses, extraordinairement différentes et, en même temps absolument évidentes selon que, dans le train, on fasse connaissance d’un responsable communiste et que, sous son influence, on pénètre des groupes de jeunes gens rebelles parmi qui on retrouve son amour de jeunesse Czuszka (Boguslawa Pawelec) que, par une sorte de constance de la catastrophe, on trahira.

Mais si, ratant le train, on s’accroche, en courant avec un employé avec qui on a déjà eu maille à partir ? Que la rugueuse milice s’en mêle ? Qu’elle vous passe à tabac, vous fasse ainsi découvrir l’arbitraire du Pouvoir et, par ricochet, la résistance sereine du peuple catholique, le courage tranquille de ceux qui entretiennent le feu de l‘Église du Silence, comme on l’appelait alors ?

Et on peut aussi rater le train en ne courant pas assez vite et en évitant le choc avec l’employé. Et vivre alors une existence tranquille, sans hauts ni bas, mais appréciée par sa hiérarchie. Et pourtant, partant pour un Congrès médical international à la place d’un ponte dont le fils est suspecté, être dans l’avion qui explose ?

La vie est comme ça. Il en faut peu pour passer à travers des gouttes ou être fauché par un chauffard ivre.

C’est ce que pose Kieslowski ; comment lui donner tort ?

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