Le manuscrit trouvé à Saragosse

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Picaresque compliqué

Assez amateur, en matière de littérature, des ces « romans à tiroirs » que Sterne (Tristam Shandy) ou Diderot (Jacques le fataliste, Le neveu de Rameau) ont institué, de manière bien séduisante, je pensais découvrir dans ce Manuscrit trouvé à Saragosse au beau titre énigmatique, un de ces bijoux rares, sans ascendance ni postérité que le cinéma recèle quelquefois.

Et puis l’exotisme d’une Espagne d’après le Siècle d’Or, qui s’assoupit, anesthésiée par les richesses des Amériques, sans se rendre compte qu’elle devient pour trois siècles la Belle Endormie de l’Europe, une Espagne contée, qui plus est par un Polonais qui a écrit, à partir de 1797, un livre foisonnant, directement en langue française, et mise en scène par un autre Polonais, tout cela satisfaisait mon goût pour un certain baroque.

D’ailleurs Luis Bunuel, dont on peut tout dire, sauf qu’il n’est pas un réalisateur intéressant, ne tenait-il pas le film de Wojciech Has comme un admirable chef d’oeuvre ? Et enfin, cette version DVD de 182 minutes ne devait-elle pas sa restauration à la munificence de Martin Scorsese ?

De quoi s’asseoir confortablement devant son écran pour un long moment intense, pensait-on !

Etais-je, précisément, en situation trop confortable, et la torpeur m’a-telle gagné ? Toujours est-il que je demeure perplexe.

img6Certes l’invention plastique de Wojciech Has est superbe et le film coule avec vigueur, sans temps mort aucun. Sans doute chacun des récits dont l’oeuvre est composée a-t-il son intérêt propre et apporte-t-il sa pierre à l’édifice d’un rêve éveillé, quelquefois cauchemardesque, souvent séduisant mais toujours insolite ; sans doute le réalisateur emploie-t-il très subtilement les ressources d’un érotisme chatoyant, omniprésent et tentateur…

Mais la complexité du récit est telle, avec ses histoires chevillées les unes aux autres, enchevêtrées, de structure et de longueur variables, qu’à la longue, on se lasse de cet exercice de style brillant et qu’on décroche bien avant la fin.

Assez trivialement, il me semble que deux des raisons de ce décrochage sont très banalement dues à la nationalité du film et à son tournage en noir et blanc : dans un récit aussi apprêté, il importe qu’on reconnaisse du premier coup les rôles et les changements d’histoire : peu familier des acteurs polonais des années Soixante, je crains d’avoir confondu certains personnages qui se ressemblent physiquement, d’autant que le noir et blanc « gomme » certains traits caractéristiques (la couleur des vêtements, par exemple) qui permettraient de se mieux repérer dans le foisonnement. C’est tout à fait primaire, mais je crains de n’être pas le seul à être un peu perdu, lorsque des acteurs inconnus interprètent des films où l’intrigue est complexe.

Je crois vraiment qu’il faudrait que je me replonge un de ces jours dans un film dont la richesse paraît tout de même éclatante : un des grands obstacles est sa durée : 3 heures d’un seul tenant ne se trouvent pas si aisément…


J’ai revu le film, j’ai mieux suivi, je ne me suis pas perdu dans l’enchevêtrement des récits, tous bien composés ; mais je persiste à dire que c’est trop long, trop habile, trop virtuosement montré pour convaincre absolument, malgré la grande beauté des images, des paysages austères, inquiétants, menaçants ou des intérieurs, décors de maisons ou des appartements, baroques, hautains, glaçants.

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