Mais quelle purge !
Beaucoup de ceux qui n’apprécient pas le cinéma de Jean-Luc Godard affectent pourtant une certaine inclination pour Le mépris jugé atypique et exempt des outrances ennuyeuses du Genevois le plus célèbre depuis Jean-Jacques Rousseau et tout aussi nuisible. Je me demande bien ce qu’on peut trouver dans ce film de différent des tics coutumiers de Godard, trop habituels pour être fortuits et rapidement insupportables.
Écrivant ceci, j’ai un remords presque sincère : comment trancher avec un si souverain mépris une œuvre abondante, prolifique, qui n’est plus, depuis longtemps, que confidentielle, mais qui a eu, un temps, du succès et du prestige et qui conduira les longs violons de la médiature à éditer de longs articles larmoyants lorsque le cinéaste cassera sa pipe ? (encore un effort, il ne vient d’avoir que 83 ans). Comment me prononcer alors que je ne connais de ce pervers emmerdeur qu’une demi-douzaine de films, vus à son époque de notoriété d’avant 68, et moins encore revus depuis lors ?
C’est que, même si je puis être injuste, je ne peux pas ne pas remarquer dans tout ce que j’ai vu des constantes et obsessions : le son en prise directe qui fait que nombre de paroles s’envolent au vent, le jeu puéril sur les couleurs de base, rouge, bleu, jaune, dont on m’obligerait en m’expliquant le sens, la maladresse d’utiliser des mélodies – quelquefois fort belles – de façon si systématique et indéfiniment répétée que la phrase musicale, qui avait dès l’abord séduit devient vite emphatique, obsessionnelle, insupportable et même ridicule. Manie, aussi de faire énoncer des sentences, la plupart idiotes (Le cinéma substitue à notre regard un monde qui s’accorde à nos désirs) ou sorties de leur contexte, par les acteurs. Et d’aller chiper, ici et là, des idées de mise en scène pour faire de ses films une gigantesque entreprise de collage, summum et ultima ratio de la modernité.
Ainsi le générique parlé du Mépris dans quoi certains ont vu une innovation géniale, mais qui est une pauvrette imitation des flamboyances de Sacha Guitry ; ainsi l’irruption à tout bout de champ des physionomies des statues grecques, piquée chez Jean Cocteau. Cinéma d’esbroufe et cinéma totalitaire, qu’on est sommé d’apprécier au plus haut niveau ! Ce ton prétentieux a donné à ses thuriféraires l’impression de faire partie d’une secte d’élite, d’une camarilla aristocratique fonctionnant avec une absolue bonne conscience et jetant avec mépris tout ce qui ne faisait pas partie des élus du sérail.
Et Le mépris est comme tout le reste du fatras, enquiquinant, chichiteux, mal filmé (combien de plans qui commencent et finissent sans personnage ?), aussi bavard que creux, emplâtré de personnages sans consistance, comme le producteur Prokosch (Jack Palance), ou sans raison d’être, comme le malheureux Fritz Lang, qui a constamment l’air d’être bien étonné d’avoir signé un contrat pour figurer dans cette daube !
Si Michel Piccoli fait ce qu’il peut (mais il est encore loin de ses grands rôles avec Sautet), Brigitte Bardot est parfaitement artificielle. Pourquoi, d’ailleurs, lui jeter la pierre ? C’est le scénario, la linéarité du récit qui est absolument invraisemblable, cette histoire d’amour qui semble s’évaporer en un clin d’œil, au mépris de toute vraisemblance (ce qui n’est pas dramatique au cinéma) mais surtout de toute cohérence (ce qui l’est bien davantage). Tout cela est fait au mépris de la réalité et des spectateurs.
Seule qualité de ce film, qui m’empêche de lui décerner l’infamant 0, la beauté des fesses de la vedette, montrées suffisamment souvent pour qu’on en ait son content. Mais qu’apprends-je (sur Wikipédia) en ricanant ? Ce sont certains des producteurs du film qui ont menacé de ne pas lâcher leurs pépètes si le popotin de Mlle Bardot n’était pas suffisamment exhibé, de façon à équilibrer et justifier leur investissement qui ont exigé d’ajouter des scènes de nudité.
Voilà une bien jolie morale pour un film désastreux