Edward Dmytryk a été membre du Parti communiste des États-Unis en 1944-1945. Comme la Commission des activités anti-américaines (c’est-à-dire la commission du bienveillant Joseph McCarthy) qui n’allait pas de mainmorte et le traquait, de ce point de vue-là, il n’a pas voulu entamer un grand chemin de difficulté et, comme Elia Kazan, s’est vite dépêché de livrer aux autorités les noms des canailles qui pouvaient conspirer contre la prééminence américaine. En d’autres termes, il a craché à la C.I.A. tous les noms de sympathisants de la gauche qu’il pouvait éructer. Ce n’est pas que ça me gêne vraiment, mais ça manque radicalement d’élégance, ne peut-on dire ?
Une fois ces saloperies accomplies, il est largement entré dans le rang et s’est allongé, comme la plupart des gens le font, devant la loi inflexible du marché. Réalisateur de films classiquement hollywoodiens – La neige en deuil (1954), Le bal des maudits (1958)- plutôt intéressants, il a dû, pour des raisons alimentaires, réaliser ce Miracle à Cupertino qui n’est pas loin, dans mon regard, de rejoindre les plus mauvaises nouilleries sulpiciennes du siècle dernier (ou de l’avant-dernier siècle, si vous préférez).
C’est très difficile de représenter à l’écran des histoires de saints. À dire vrai, je ne connais qu’une réussite absolument parfaite, l’admirable Thérèse d’Alain Cavalier ; on peut trouver aussi de l’intérêt aux Onze Fioretti de François d’Assise de Roberto Rossellini à Monsieur Vincent (de Paul) de Maurice Cloche à plusieurs films sur l’extraordinaire personnalité de l’Abbé Pierre (qui n’est d’ailleurs pas canonisé), Les chiffonniers d’Emmaüs de Robert Darène (1955), Hiver 54, l’abbé Pierre de Denis Amar et même tout récemment L’Abbé Pierre de Frédéric Tellier. Je dois faire l’impasse sur beaucoup : Alfred le Grand met en scène un guerrier plutôt qu’un saint (ce qu’il fut, l’un et l’autre)…
Et voilà qu’Edward Dmytryk réalise en 1962 une bizarre hagiographie plutôt niaise ; on se dit que des sociétés bien-pensantes ont dû mettre des sous sur la table pour demander à un réalisateur d’une certaine notoriété un film sur un personnage du 17ème siècle dont l’aura et la réputation n’ont tout de même pas atteint d’extraordinaires sommets. Joseph de Cupertino, canonisé le 16 juin 1767 par le Pape Clément XIII apparaît dans le film comme un brave bougre balourd, maladroit, rêveur, d’esprit faible, d’une grande douceur et d’une gentillesse constante envers tous. Fils d’un père léger, Felixa (Arnoldo Foà) et d’une mère déterminée, belle et subtile (Léa Padovani), Giuseppe entre difficilement au couvent franciscain de Materna, dans les Pouilles (le talon de la botte).
Le garçon n’a aucune capacité intellectuelle mais il est continuellement plongé dans l’extase spirituelle ; c’est sans doute là que dans son film très scolaire, le réalisateur manque de talent : la sainteté n’exige pas l’intelligence, la subtilité, l’incandescence ; mais au moins faut-il la représenter, ou essayer de le faire, dans un empyrée stupéfiant. Joseph lévite, certes ; c’est tout ?
La grande médiocrité de Miracle à Cupertino est de faire de cette drôle de chose qu’est l’appel à la sainteté une sorte de hasard opportunément distribué, un peu comme un gain démesuré à l’Euromillions. On ne sauisit pas bien pourquoi et comment le brave crétin Giuseppe, favorisé ici et là par beaucoup d’opportunités, parvient à devenir prêtre, de petit convers qu’il était et comment il acquiert auprès de ses frères franciscains et de la population de la contrée le relief qu’il dispensera.
La sainteté, ce mystère invraisemblable et insaisissable, méritait tout de même bien mieux que ce devoir appliqué, souvent ennuyeux.