Naissance d’un réalisateur
Si l’on excepte Pasteur, hagiographie du scientifique, et Bonne chance, Le nouveau testament est la première réalisation de Sacha Guitry, sans doute une de celles où l’auteur dramatique conçoit que ce nouvel Art, un peu méprisé à ses débuts, paraissant ennuyeuse copie en conserve du royal théâtre peut, grâce à l’abolition des conventions et des artifices de la scène devenir une œuvre absolument magique, qui plus est susceptible d’être reproduite à l’infini et enregistrée, mettant fin à l’éphémère de la représentation théâtrale.
Cela dit, Le nouveau testament, c’est encore largement du théâtre, comme Mon père avait raison, alors que, la même année 1936 (peut-on être plus généreusement prolifique !), Le roman d’un tricheur accumule les innovations et instaure pour toujours le grand style Guitry. Mais ce théâtre filmé, issu d’une pièce écrite par lui, Guitry le tire déjà vers autre chose : quelques extérieurs, bien sûr, avec, déjà le sens de l’espace, mais aussi, et surtout la qualité du montage, les gros plans sur les physionomies, le rythme sans faille et sans temps mort des dialogues…
En d’autres termes, tout est en germe de ce que va être l’éblouissant Âge d’or qui va suivre (selon l’excellent titre du gros coffret qui vient d’être édité) : prémisses des génériques enchanteurs et si drôles (et tout autant si respectueux du travail des techniciens, si anonymes dans les films de l’époque), chatoiement des mots d’esprit, survenue des acteurs récurrents (Pauline Carton, déjà irrésistible), emploi de la dame de cœur du moment – et, avant-guerre, c’est Jacqueline Delubac, sans doute la plus ravissante, la plus gracieuse des cinq épouses (légitimes) du Maître – , tournage dans le milieu de la grande bourgeoisie parisienne (précieuses indications sur ce que pouvait être un intérieur des beaux quartiers de l’époque…).
Ce qui n’est pas tout à fait satisfaisant, dans ce Nouveau testament, c’est, précisément, ce qui demeure du théâtre : l’intrigue, amusante, mais très classiquement graveleuse, dans la grande tradition du Boulevard et du vaudeville, nourrie de cocuages multiples et de procédés rebattus, mais surtout la distribution : le générique le dit, les principaux rôles sont tenus par les acteurs de la distribution théâtrale, et ils ne sont pas très brillants, au cinéma.
Par exemple, une mention spéciale pour Betty Dausmond, qui joue Lucie Marcelin, la femme – trompée – de Guitry, mais qui le trompe aussi avec le fils d’un couple ami : cette pauvre femme est si laide, si dépourvue du moindre charme que son aventure avec un jeune homme de trente ans son cadet paraît impossible ; ce qui pouvait passer au théâtre, où l’éloignement de la scène couvre bien des insuffisances physiques, ne fonctionne plus au cinéma…
Délicieux mots d’auteur, et très charmantes scènes de vraie rosserie qui raviront tous les amateurs de cet esprit un peu cruel, jamais vraiment méchant : ainsi le dialogue entre Lucie (Betty Dausmond, donc) et la gracieuse Juliette Lecourtois (Jacqueline Delubac) nouvelle secrétaire introduite au foyer par le docteur Marcelin (Guitry), scène où l’animosité entre les deux femmes atteint un pinacle : J’ai trouvé, Mademoiselle, que vous aviez l’air d’une fille ! vacherie qui s’attire un évident : Que voulez-vous, Madame, tout le monde ne peut avoir l’air d’une mère !… Ou encore, dans la réponse que le Docteur fait à un de ses confrères qui lui a envoyé une cliente en consultation : Votre cliente me fait l’effet d’une femme qui est en train de mal se conduire, ce qui est immoral, pas davantage, mais qui voudrait, en outre, empêcher son mari d’en faire autant, ce qui est inhumain !
Tout le Guitry qu’on aime, en somme…
Certains s’inquiètent de la qualité technique de cette exhumation de films qui datent maintenant de plus de soixante-dix ans… que dire ? Le son m’a semblé excellent, les images, quelquefois un peu surexposées (mais rarement) sont fort nettes, exemptes de griffure (sauf une sorte de »fil » parasite, durant une dizaine de minutes, qui n’est pas gênant). Mais ça ne préjuge en rien des performances des autres films du coffret ; très agréable et élégante présentation, suppléments intéressants, sous-titres en anglais et pour sourds… Comme on trouve désormais séparément la plupart des titres (hors coffret), essayez donc un chef-d’œuvre, Les perles de la Couronne…vous verrez