Le passage du canyon

Qu’elle est boueuse ma vallée !

J’ai rarement vu un western aussi médiocre et ennuyeux. Il est vrai que le genre, célébré par de béats étasuniens qui, n’ayant pas d’histoire ni de civilisations derrière eux s’en gobergent et s’en enorgueillissent, n’est pas de ceux que je préfère. Sommaires et puériles, ces histoires de vachers mal embouchés, aux coups de poing faciles me semblent être le plus souvent au niveau zéro du cinéma. Mais comme la gangrène de soumission intellectuelle a gagné beaucoup d’esprits depuis une centaine d’années, il est convenu de trouver admirables ces récits sans profondeur.

Cela étant, j’avais une certaine révérence pour le cinéma de Jacques Tourneur, réalisateur de qualité qui s’est lui-même confiné dans des sous-genres cinématographiques alors qu’il avait toutes les qualités pour aller se positionner dans des rangs plus élevés. La féline, ce n’est pas mal du tout et Rendez-vous avec la peur est parmi les meilleurs films que je connaisse dans le beau genre de l’angoisse et du malaise. Cela dit, c’était un de ces réalisateurs prolifiques formatés pour Hollywood et répondant aux demandes des studios, tout en ajoutant ses propres épices.

Selon Bertrand Tavernier, grand spécialiste du cinéma des États-Unis qui s’exprime longuement dans le supplément du DVD, Le passage du canyon serait le premier western d’une nouvelle époque du genre, moins manichéenne, moins brutale, moins sommaire, moins héroïsante que les films antérieurs. Je l’admets bien volontiers, mais je n’ai pas trouvé bien convaincante sa démonstration ; ou plutôt j’ai trouvé que si c’était ainsi, le jeu n’en valait pas la chandelle. Ce qu’on peut apprécier dans un western (car il y en a de bons, La prisonnière du désert, par exemple, c’est précisément ce côté brut de décoffrage, bons contre méchants dans des paysages magnifiques.

Au demeurant, ce n’est pas sur ce dernier point que le film de Jacques Tourneur pèche, loin de là : il y a quelques magnifiques endroits d’Oregon très bien filmés, ce qui change agréablement de la sempiternelle vision de Monument valley. Et l’introduction du film, dans la ville de Portland en 1856, sous la pluie battante et les fleuves de boue qui emplissent les rues est une grande réussite. On ressent très fort la froide averse et la fange gluante. Et très bien aussi la fuite de ce salopard de Bragg (Ward Bond) dans de très beaux feuillages pourpres. Rien à dire là-dessus.

En revanche j’ai trouvé bien maladroite l’animation de la petite cité de Jacksonville, qui semble être une scène de théâtre où les personnages ne cessent de s’entrecroiser, de se rencontrer, de surgir comme ils le font entre cour et jardin. Ça m’a paru totalement artificiel. Mais ça l’est beaucoup moins que l’invraisemblable et ennuyeux scénario qui met en scène deux amis, l’un Logan Stuart (Dana Andrews), sérieux, bosseur, ambitieux, loyal, l’autre, George Camrose ( Brian Donlevy), léger, cossard, futile, joueur compulsif de poker. Deux amis, donc et deux jeunes femmes, Lucy Overmire (Susan Hayward) et Caroline Marsh (Patricia Roc). La première est fiancée à l’inconstant George, la seconde au courageux Logan.

Il ne faut pas être grand clerc pour comprendre d’emblée que les cartes sont mal distribuées et que Logan et Lucy sont faits pour s’entendre. On pourrait presque croire que George et Caroline feront de même mais la veulerie de George et – surtout – l’intrusion de Peaux-Rouges sauvages qui pillent, tuent, incendient et violent ne le permettra pas. Tavernier parle, à propos du film de scénario en zig-zag, ce qui n’est pas mal trouvé. En tout cas, il aime beaucoup.

Disons qu’il est dans le zig et moi dans le zag, comme le disait le regretté Thierry Roland.

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