Beau travail !
Je conservais un excellent souvenir de ce Père tranquille vu plusieurs fois aux temps où la télévision ne se croyait pas obligée aux films en couleurs en début de soirée, mais j’avais plutôt gardé en mémoire une bluette très réussie, très aimable, très bon enfant et un peu superficielle.
Eh bien, c’est beaucoup mieux que ça, et c’est surtout idéologiquement beaucoup plus fort et engagé, comme le décortique l’excellent supplément Pas si tranquille que ça joint au DVD.
Je confinerais au sacrilège en rapprochant ce film de la sombre et magnifique Armée des ombres que je ne regarde jamais sans une terrible émotion ; et pourtant, la distance est-elle si grande ? N’y a-t-il pas, dans l’un et l’autre film, une vision de la Résistance bien plus réaliste et exacte que celle qui a été développée, autour de personnages héroïques et romanesques dans bon nombre d’œuvres ? Si le film de Melville est un torrent noir, un ciel de suie, celui de René Clément, malgré son happy end, ses Français moyens benêts ou roués, son côté petit-bourgeois ne présente tout de même pas une vision idyllique de la guerre ! dans l’un et l’autre film on exécute sans états d’âme les traîtres et l’on sait bien que la guerre ne se fait pas sans effusion de sang, explosions diverses et disparitions d’innocents qui n’avaient que le tort d’être là au mauvais moment…
Et l’un et l’autre film présentent aussi une vision profondément gaulliste de la Résistance : la lutte pour la libération de la Patrie, accomplie par des gens de toute origine, de toute philosophie, de toute provenance, droite et gauche mêlée (Celui qui croyait au ciel, celui qui n’y croyait pas) en tout cas une vision bien éloignée de films plus militants, privilégiant la lutte idéologique contre le nazisme.
On apprend, dans l’excellent supplément déjà cité, que Le père tranquille est le dernier d’une série de films financés par les Pouvoirs publics, dans une optique de réconciliation nationale, ou plutôt de conciliation entre les différentes tendances issues de la Résistance ; et que Clément fut retenu, après la plus héroïcisante Bataille du rail (cette épithète n’est pas une critique) bien qu’il ait été lui-même assez éloigné du communisme, alors extrêmement puissant ; outre la qualité du récit, et l’excellent témoignage sur la vie d’une bourgade d’apparence tranquille – mais guère éloignée d’endroits stratégiques, puisqu’on la voit proche d’Angoulême, c’est-à-dire pas très loin de l’Océan – il y a donc dans ce qui est au moins autant le film de Noël-Noël que de René Clément un très intéressant et subtil ouvrage destiné à panser des plaies et à apaiser les tensions.