Le plaisir

L’éclatante élégance de Max Ophuls.

À ceux qui prétendraient, contre toute évidence, que le cinéma, ça n’est jamais que du théâtre filmé, il faudrait recommander, toutes affaires cessantes, de regarder ne serait-ce que les trois premières minutes de l’histoire initiale  du Plaisir, film qui en conte trois, histoire intitulée Le masque, minutes qui sont un vertige absolu, où une caméra virtuose cueille en quelques plans la frénésie de la fête tout autant que la folie de qui ne se résigne pas à avoir vieilli. Saisi dans sa cavalcade, Ambroise, le masque (Jean Galland) perce littéralement l’espace, traverse les étages, les paliers et les coulisses du Palais de la Danse, dégringole les escaliers au milieu d’une foule à bout d’excitation et se lance dans un furieux galop qui l’étourdit jusqu’à l’ivresse… Merveilleuse, grisante leçon de cinéma !

Le-PlaisirAprès Le masque, la dérision et la pitié pour la pauvre humanité (on sait que Maupassant, de qui les trois histoires sont adaptées, n’est pas précisément un auteur insouciant !), c’est La maison Tellier, conte sarcastique et ricaneur, mais frais, aussi et presque paisible (en tout cas le récit filmé est plus tendre que le récit écrit) ; c’est le corps central et le plus long du Plaisir, clivé entre la chaleur presque bourgeoise de la maison de tolérance et la gaieté verdoyante de la campagne normande. Sur le leitmotiv de la plus ravissante mélodie de Pierre-Jean Béranger, Combien je regrette…, il y a ces moments de grâce où la pureté de l’enfance à sa première communion touche aussi bien les filles que les villageois. Et la presque idylle impossible entre Joseph Rivet (Jean Gabin) et Rosa (Danielle Darrieux) qui, d’ordinaire, » ne cesse de chanter que pour boire, et de boire que pour chanter » touche un peu à ce miracle d’un jour.

Et puis, le soir, les filles revenues dans la Maison, à Fécamp ou à Dieppe, les choses reprennent leur cours, triviales, banales, agitées…

Si ma note n’atteint pas le niveau du chef-d’œuvre, c’est que la troisième histoire, Le modèle, avec Simone Simon et Daniel Gelin apparaît comme plaquée et superflue ; initialement, paraît-il, Ophuls avait souhaité adapter La femme de Paul, moins mélodramatique et sans doute plus véridiquement tragique (la maîtresse d’un jeune homme exalté est reprise, si je puis dire, par ses amies lesbiennes ; il se tue) ; Ophuls n’a pas eu, semble-t-il, les moyens financiers de tourner ce conte noir qui se passe dans une guinguette de la Marne ou de la Seine, ce qui aurait nécessité la présence de beaucoup d’acteurs et de figurants. Il s’est donc rabattu sur une histoire à deux personnages, un peu prévisible et à l’issue d’emblée trop claire.

Mais tel qu’il est, Le plaisir, ses images éblouissantes, la qualité impériale de sa distribution, la voix grave de Jean Servais qui ponctue les épisodes, est un film qu’on est atterré de ne pas trouver en France dans une belle édition…

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