Un an plus tard Pascal Thomas tournera Les Zozos qui est le film le plus clair, le plus juste, le plus tendre, le plus pertinent sur ce qui fut la vie des garçons au lycée avant le funeste et ridicule Mai 68, avant que la mixité s’installe, avant que les adolescents contestent l’autorité des adultes. Il fut en effet un temps, une bulle dans le temps, celle du baby-boom peut-être où les jeunes gens étaient absolument libres dans leurs têtes et dans leurs pensées et absolument contraints par la structure sociale patriarcale qui leur serinait à tout moment qu’ils n’étaient pas encore des adultes et qu’ils devaient obéir avant de prendre plus tard les rênes de la société.
J’ai connu ce grand bonheur de vivre ces instants-là, ceux où selon le titre d’un beau roman de Gilbert Cesbron, Notre prison est un royaume, le lycée apparaît à la fois contrainte rude et bonheur parfait. Moments où la personnalité de chacun se forge, se frotte à celle des autres, se construit et peut-être se charge de regrets qu’on n’épuisera jamais tout à fait. Il y a longtemps que l’on sait que l’enfant est le père de l’homme.
Dans un établissement aussi crasseux et vieillot que tous ceux que l’on a connu, les futurs Zozos attendent de devenir un peu plus grands. Le spectateur retrouve les visages qu’il verra un an plus tard dans le long métrage : Frédéric (Frédéric Duru) et François (Edmond Raillard) ; mais le principal personnage, dont on ne saura pas le prénom, c’est Mikovsky (Jean-Claude Antezack), qui, dans Les Zozos sera Vénus, le gamin à la puberté tardive, qui n’a pas totalement mué, qu’on ne détestera pas, mais qu’on pourra en même temps copieusement rosser. Car cet âge est sans pitié ; en tout cas l’a été. Les coqs de village se sont toujours moqués des vilains petits canards.
Surtout lorsque – et c’est bien le cas de Mikovsky – ils sont en tête de classe, scrupuleux, travailleurs, intelligents, conscients que ce n’est pas grâce à leur physique qu’ils parviendront à accéder aux plus hautes marches de la société.
Mais à quinze ans, seize ans, dix-sept ans, ce qui importait (en tout cas à l’époque), c’était moins la carrière qu’on ambitionnait de faire (tout était si simple et l’économie fonctionnait si bien) que l’éternelle, immuable, obsédante question de la femme. Aux heures où la sexualité commence à être une donnée majeure – et forcément insatisfaite – de la vie des adolescents, la moindre ouverture vers la chair de l’autre sexe fait rêver. C’est pourquoi Mikovsky est absolument grisé par le genou, par l’aisselle de son professeur d’histoire-géographie, Mlle Lavigne (Christiane Duval), qui n’a pas pourtant grand charme. Mais qui est femme, ce qui suffit. Suffit pour rêver, pour imaginer, pour croire qu’un mauvais poème médiocrement inspiré des Fleurs du mal de Baudelaire peut séduire. Manque de chance : la dame est en retard et c’est un des ses collègues (Daniel Ceccaldi) aussi narquois que possible qui s’amuse à lire devant la salle hilare les pauvres vers du pauvre garçon.
Rien de plus. Vingt minutes où Pascal Thomas rode Les Zozos. Et où il réussit déjà à fixer ce moment si fugitif…