L’argent ne fait pas le bonheur.
On le sait bien et on n’a jamais cessé de l’écrire, John Boorman était capable de tout (je dis était parce qu’il y a belle lurette qu’il ne tourne plus).
Du meilleur, de l’exceptionnel, (Délivrance et Excalibur), du ridicule, (Zardoz), du décontenançant, (L’exorciste II), du niais décoratif, (La forêt d’émeraude).
Mais il me semble aussi que son cinéma ne laisse jamais indifférent, quelles que soient ses fissures. Cela étant, il est vrai que je n’ai pas vu ses films les plus récents, ni Hope and glory, ni Rangoon (dont on m’a dit grand bien), ni Le tailleur de Panama.
Il faudra que je répare ces failles.
Des failles, y en a-t-il dans Le point de non-retour dont je n’avais jamais entendu parler et que je viens de découvrir avec volupté ? Oui, bien sûr, les invraisemblances du scénario, la kyrielle d’heureux hasards qui surviennent au moment où le héros en a besoin et qui lui permettent d’avancer à pas pressés dans sa quête obstinée à tout moment répétée : Je veux mon argent. On sait bien que la quasi-totalité de ces films violents où un homme seul – ou presque seul – s’attaque à une organisation criminelle tentaculaire d’apparence omnipotente exige du spectateur de la participation et une certaine abdication de son esprit critique. Mais là, ça fait beaucoup.
Et toutefois on marche à plein régime ! D’abord parce que le personnage principal, Walker, taciturne et indestructible est merveilleusement interprété par Lee Marvin qui n’a peut-être jamais été aussi bon (bien que dans Canicule…) ; et que ce personnage, ce truand dont on ne saura pas grand-chose de la vie passée, surtout pas le prénom, est, en soi, absolument fascinant.
Sa naïveté initiale : il accorde une absolue confiance à son ami Mal Reese (John Vernon) dont il ne s’est pas aperçu qu’il couchait avec sa femme Lynne (Sharon Acker) ; accomplit avec lui le coup qui devrait permettre à Reese de rembourser la dette qu’il a contractée avec la mystérieuse Organisation ; mais ne se méfie pas que ce faux-jeton veut garder pour lui tout le magot et reçoit deux coups de revolver. Il est laissé pour mort, ce qui ne l’empêche pas de regagner San Francisco à la nage, depuis la prison désaffectée d’Alcatraz où la péripétie a eu lieu : un bel exploit puisque les eaux de l’océan Pacifique sont à la modeste température de 10° et agitées par de tumultueux courants. Passons.
Son obstination continue : sa volonté forcenée de récupérer sa part du butin, les 93.000 $ qu’il exige (Je veux mon argent !) en passant sur tous les obstacles, en les écrasant, même. Il est vrai que, pour remonter la filière, retrouver son ancien ami et complice et, consécutivement, toute la filière il est particulièrement aidé, guidé, conduit par Yost (Keenan Wynn) qui lui ouvre des voies et lui livre des secrets. Nouvelle petite faiblesse du scénario : il faut être bien ballot pour ne pas comprendre d’emblée que ce personnage d’apparence mystérieuse est en fait le patron de la fameuse Organisation qui, comme tous les chefs mafieux de quelque envergure se préoccupe avant tout de couper les ailes de ses numéros 2 et 3, qu’il soupçonne, évidemment à raison, de vouloir prendre sa place.
Et finalement son indifférence à tout : comment comprendre, sinon, que les adversaires abattus et la place étant désormais nette, il la laisse abandonnée parce que, tout simplement sans doute, il s’en fiche, il a accompli son chemin ?
Le film de John Boorman est plein de séquences superbes, dont on se souvient : la marche de Walker vers son destin, rythmée bruyamment par ses pas dans les longs couloirs d’un aéroport pendant que sa femme Lynn se pomponne ; l’algarade violente entre Walker et sa belle-sœur Chris (Angie Dickinson) qui concluent enfin leur mutuelle attirance les longues perspectives du canal de dérivation où un tireur d’élite assassine tranquillement qui il doit tuer ; l’agacement des pontes de l‘Organisation devant les si petites exigences de Walker (moins de 100.000 $, alors qu’elle brasse des centaines de millions).
Très bon film, malgré sa structure un peu simpliste, son scénario trop emberlificoté, ses personnages sans épaisseur (hormis son héros principal). Très efficace et bien tourné. Boorman s’annonçait bien.