Des liens qui attachent… ou libèrent ?
Ce n’est pas que ce soit long (moins de deux heures) mais c’est tout de même un peu trop touffu. Mais dès que j’ai écrit cela, je m’en repens un peu ; faire vivre, sur l’espace de douze ans, la vie d’une famille de cinq personnes, ses cahots, ses cahin-caha, ses ruptures et ses douceurs, les tendresses, les fureurs, les réconciliations, les flots d’amour et les vieilles histoires enfouies au fin fond des mémoires, les mots et les attitudes qui ont jadis blessés et qui surgissent comme ça, brutalement, lors des moments de tension qui semblent être des féroces règlements de comptes. Règlements d’autant plus féroces qu’ils portent, en creux, toute une dose d’amour.
Dans le film très bien composé de Rémi Bezançon, (si bien composé qu’il l’est peut-être un peu trop), il y a cinq moments décisifs, cinq dates particulières, significatives pour l’un, ou l’autre, ou pour plusieurs des membres de cette famille de la classe moyenne de la fin du siècle dernier (siècle dernier ? eh oui, déjà…). Famille Duval, composée de cinq personnes : le couple, Robert (Jacques Gamblin) et Marie-Jeanne (Zabou Breitman)), deux garçons, Albert (Pio Marmaï) et Raphaël (Marc-André Grondin) et la petite sœur, Fleur (Déborah François). Mais aussi deux ou trois personnages collatéraux qui ne sont pas négligeables : le grand-père Pierre (Roger Dumas), œnophile d’apparence égoïste, Éric (Stanley Weber), ami de Raph et futur compagnon de Fleur, Prune (Cécile Cassel), un peu cinglée, un peu bouddhiste, un peu beaucoup écologiste qui sera la femme d’Albert, brillant médecin, qui se rendra compte assez vite que sa femme et lui ne sont pas faits l’un pour l’autre.
Une histoire de famille d’une certaine banalité, donc ; si l’on regarde autour de soi en évitant de croire aux sourires rassurants consensuels, on voit bien que tout le monde porte sur ses épaules des failles, des douleurs, des remontrances, des regrets, des secrets, des frustrations, des rêveries. ‘’Telle est la vie des hommes’’ et même ceux qu’on aime le plus au monde, on ne sait pas comment les aider, les choyer et tout ça… Il y a des notations extrêmement justes dans , des tas de ‘’petits faits vrais’’, de souvenirs vécus ou inventés sans qu’ils soient invraisemblables. Deux parents qui s’aiment mais s’inquiètent pour leur nichée, des frères aussi différents que possible, une petite sœur qui s’engage dans les chemins bêtas et inévitables de l’adolescence…
Le film est articulé autour de cinq segments : 1988, 1993, 1996, 1998, 2000. Chacun d’eux correspond à une étape importante dans la vie de l’un ou l’autre membre de la famille. Le départ du grand frère, Albert (Marmaï), qui marque la fin de l’enfance ; le mariage d’Albert avec Prune et, le même jour la mort du grand-père ; l’accident de voiture de Marie-Jeanne (Zabou Breitman) et, provisoirement, la réconciliation de la famille ; et enfin la mort de Robert (Gamblin) qui scelle cette réconciliation. Mais pour combien de temps ?
Si nous songeons aux péripéties qui surviennent autour de nous, nous voyons bien que c’est à peu près exactement ce qui se passe : quelques joies vite effacées par d’inoubliables chagrins (Marcel Pagnol). Mais voilà, c’est un peu trop habile, un peu trop ramassé, un peu trop théâtralisé. Je ne dis pas que Rémi Bezançon a trop contracté les péripéties : son idée de les faire s’étager au cours des années qui passent est bonne…
Qu’est-ce qui ne va pas tout à fait, alors ? Eh bien sans doute qu’on ne sent pas assez la lenteur de la vie, le vieillissement (ou plutôt la maturation de tous les protagonistes, les longs moments qui forgent les battements d’aile des oisillons qui quittent le foyer.
Mais c’est tout de même drôlement bien…